2019 a été une tellement belle année cinématographiquement parlant qu'il est assez difficile de retomber aussi brutalement qu'en cette première semaine de 2020 dans la dure réalité du tout-venant du cinéma. Et il est donc logique d'accueillir un objet aussi artificiel et peu cinématographique que cet "Art du Mensonge" avec méfiance, voire avec réticence. Car, après tout, qu'avons-nous là, sinon un "projet" dont les ambitions sont réduites au strict minimum ? On prend un roman - avec coups de théâtre de rigueur - qui avait été plutôt bien reçu à sa sortie, on engage deux acteurs de grande classe qui ne doivent pourtant pas coûter très cher du fait de leur âge (... et on sait combien le Cinéma, vampire quasi-pédophile, adore se repaître de jeunes visages et de jeunes corps, mais fuit désespérément la lumière cruelle du troisième âge !), on recrute un réalisateur qui a une certaine expérience "technique" mais n'a jamais mis en scène quoique ce soit d'intéressant, ce qui protège le projet de toute dérive auteuriste mal venue, et l'affaire est vite bouclée. Il suffit de sortir le film lors de la période des fêtes, au cours de laquelle on sait bien que le public sera le moins regardant, et le tour est joué !
"L'Art du Mensonge" est donc un produit de pur divertissement, et notre capacité à, justement, nous divertir, dépendra directement de notre amour pour Helen Mirren (à mon avis toujours aussi diaboliquement séduisante, et ce d'autant qu'elle a su ne pas abuser de la chirurgie) et pour Ian McKellen, ainsi que de notre goût pour les petites fantaisies policières autour d'escroqueries et de mensonges. On pourra donc trouver le film insipide - tout est quand même assez prévisible pour quiconque est amateur d'histoires d'arnaque - ou au contraire plaisant : si l'on admet que l'interprétation est - forcément - le point fort du film, et que sa mise en scène sera à peu près inexistante, notre adhésion finale dépendra surtout de la crédibilité que nous attribuerons à l'élément le plus surprenant de l'intrigue, ce retour vers un passé berlinois très noir, dans le contexte délétère de la seconde guerre mondiale.
Nombreux sont les spectateurs qui auront en fait jugé ce virage "historique" incongru, voire factice, alors que, finalement, rien de ce qui advient ici n'est improbable, dans la pagaille totale de la montée du nazisme comme de son effondrement, alors que Berlin était soumis à diverses autorités politiques et policières concurrentes. Si l'on admet la plausibilité de ces flashbacks, alors le film se détache avec succès du parcours convenu de l'escroquerie, et accomplit correctement son programme. Si l'on reste sceptique, alors sera forcément déçu par une conclusion dont la cruauté ne nous est pas assénée, et on enterrera le film par un habituel "tout ça pour ça ?".
Personnellement, nous garderons à l'esprit, comme joli mot de la fin, plutôt que l'avertissement de Betty à ses petites filles sur le fait que les eaux apparemment peu profondes peuvent être traîtres, la méchante revanche vis à vis d'un vieillard terrassé, à qui l'on fait boire à la paille de l'eau dans un gobelet en plastique : "Imagine que c'est du Champagne !". C'est sans doute là le meilleur conseil que l'on puisse adresser à un cinéphile ingurgitant le vin pétillant de qualité moyenne qu'est essentiellement "L'Art du Mensonge" !
[Critique écrite en 2020]
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