L'As des as par Alligator
Mars 2010:
La vache! Voilà l'exemple type du film qu'on adore quand on est enfant et qui, 15 ou 20 ans plus tard, parait mal foutu, éclopé, vieilli.
Je devais avoir 10 ans quand j'ai vu ce film au cinéma. J'y suis retourné deux fois de suite au Gaumont du cours Georges Clémenceau. En même temps que je découvrais les lumières de la grande ville bordelaise, le monde des grandes salles de cinéma à pas cher (moins de deux euros la place, miam) m'ouvrait ses grands bras dodus. Pour le petit bambin sans père que j'estois, l'histoire de cet orphelin sauvé par un Bébel souriant et bondissant offrait le double avantage du pétaradant divertissement et de l'édifiante image paternelle. J'associe à cet "as des as" deux ou trois autres films que j'ai vus à la même époque, deux ou trois fois de suite également : "Octopussy", "Le retour du Jedi" et "Jamais plus jamais", des films pleins de couleurs, de testostérone. Sans doute l'apparition d'un troublant duvet sur mon pubis y était pour beaucoup dans cette enthousiasmante rencontre entre le pré-pubère et ce cinéma velu.
Voilà pour le contexte personnel lourd de signification dans le débordement de plaisir que cet "As des as" a provoqué en moi.
Le film est une comédie d'aventure à la Oury, malheureusement de celle où le cinéaste portait de grosses loupes sur le nez. On est très loin de la précision chirurgicale de la mise en scène et en image de "La grande vadrouille". Les moyens ne manquaient pourtant pas en cette année 1982 pour les producteurs travaillant à la grosse industrie "Belmondo", la locomotive du cinéma français (avec Delon et De Funès). Pourtant, à plusieurs reprises, la photographie, les décors respirent le studio, la factice. L'exemple le frappant est ce fond noir de la salle de boxe, irréel. Superficialité qui dénonce le manque de soin. Les rues de Berlin en est une autre illustration : elles ne sont pas convaincantes. Dommage.
Le rythme est parfois pas assez soutenu dans l'enchaînement des situations. Les dialogues manquent de punch. Néanmoins c'est souvent des dialogues de Danielle Thompson que jaillissent quelques étincelles réjouissantes, rares scènes où le film se tient bien, respire enfin la comédie.
Quand Belmondo ne fait pas trop son Bébel (ce qui ne manque pas d'être grotesque à la longue) et qu'il joue enfin juste, alors le film parvient à être drôle. Mais c'est surtout sur les scènes entre Belmondo et le petit Rachid Ferrache que le film prend un peu de hauteur (tout est relatif). Sans doute que le contexte personnel présenté plus haut m'a davantage porté à y déceler de plus grasses ressources. Quoiqu'il en soit, même aujourd'hui je trouve le visage tour à tour grave et souriant de Belmondo d'une justesse émouvante. La relation père-fils est d'autant plus touchante qu'elle est imposée par des circonstances extérieures tire-larme, la guerre, l'antisémitisme.
Ce qui faisait pour le gamin que j'étais le charme de ce genre de film, à savoir la puissance de Belmondo, héros musclé, grossier, séducteur et bonne âme généreuse m'apparait aujourd'hui presque pathétique.
J'ai revu cet as des as avec mon beau-fils de 6 ans et le freluquet m'a dit ces paroles impies : "le papy, il est rigolo!"...
Je...
Que...
M'enfin... Belmondo quand même...
J'étais estomaqué par l'outrecuidance du petit. "Papy"? Belmondo? Ze Bébel? J'ai eu pour héros un papy? C'est vrai qu'il est déjà bien ridé en ce début des années 80. Le poil un peu grisonnant...
Et puis, à y regarder de plus près, c'est vrai que le film est vieux. L'humour y est vieux, grimaçant, manque de rythme et la mise en scène passerait presque pour rhumatisante.
L'insistance à démontrer que c'est bébel et bien Belmondo qui fait ses cascades a quelque chose de plutôt dramatique. La gestuelle théâtrale, outrancière, guignolesque, tac-tac-badaboum-boum-tralalesque de Belmondo est usée, tout aussi sinistre. Le rimmel coule. Clown en perdition. Le cerveau n'est plus. La grande vadrouille non plus.
Alors Oury s'appuie tant bien que mal sur ces béquilles, des trucs qui ont fait ses succès, jadis. La course poursuite dans les montagnes bavaroises rappelle celle de La grande vadrouille, on balance plus des citrouilles mais des pneus. Même si elle est impressionnante cette séquence ne sauve pas le film de son état de décomposition avancée.
Je vieillis. Hé, c'est la vie.
NB. Quand même je suis toujours impressionné par la belle partition que nous propose Vladimir Cosma.