La bonne adresse
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Premier long-métrage de Henri-Georges Clouzot qui marquait aussi pour moi il y a quelques années ma première confrontation avec son cinéma, L'assassin habite au 21 fait déjà l'étalage d'un artiste au talent certain. A la demande d'Alfred Greven qui était à la tête de la Continental, la fameuse société de production française aux capitaux allemands fondée par Joseph Goebbels durant l'Occupation, Clouzot se voit confier la réalisation du roman L'assassin habite au 21 de l'auteur belge Stanislas-André Steeman dans un contexte particulier marqué par les restrictions. En effet trois semaines devront suffire à faire le film et ne seront autorisées que deux prises maximum pour une scène. Du gâteau cependant pour un cinéaste perfectionniste qui sait d'avance où placer sa caméra et comment composer ses plans.
Le premier meurtre est filmé avec beaucoup d'audace formelle, utilisant la caméra subjective et le plan séquence pour instaurer la tension et l'inquiétude mais aussi pour identifier le spectateur au meurtrier. Le travail sur la lumière, le noir et blanc et l'artificialité du décor, ce troquet qui débouche sur une ruelle sombre, convoque d'emblée l’expressionnisme allemand qui resurgira à plusieurs reprises ( je pense à la superbe séquence de l'interrogatoire du personnage de Noël Roquevert ). Même si le ton de l’œuvre s'apparente au vaudeville en étant résolument léger et drôle, on aperçoit déjà la misanthropie qui sera une caractéristique du cinéma de Clouzot et qui sera bien sûr amplifiée dans ses futures réalisations. Il peut ainsi se cacher une potentielle ordure derrière chaque individu. Ce meurtre met tout le système des instances du pouvoir exécutif en déroute dans une séquence qui utilise parfaitement les transitions. Du ministre au commissaire, en passant par le préfet, le directeur et le chef de la police, chacun met la pression sur son subordonné passant de subalterne brimé à petit chef autoritaire. Une manière de critiquer la France désunie et lâche de cette époque.
C'est le commissaire Wens joué par un délicieux Pierre Fresnay qui sera en première ligne pour démasquer ce fameux monsieur Durand qui aurait vraisemblablement élu domicile dans une pension de famille selon les indications d'un filou.
L'assassin habite au 21 mélange habilement les genres, les registres et arbore fréquemment un côté théâtral notamment dans la partie qui se déroule dans la pension. Huis clos oblige la mise en scène joue sur les apparitions, les interactions et les dialogues entre les protagonistes, peu reluisants par leur vanité et leur cynisme, avec un ton frénétique et un dynamisme qui invite le spectateur à se joindre à l'enquête. Il y a d'ailleurs un travail incroyable sur les dialogues et les répliques cinglantes sont nombreuses et de bon goût. Parfois provocants, vulgaires ou aguicheurs, l'utilisation des mots témoigne d'un vrai art du verbe dont dispose Clouzot et qui est pour beaucoup dans la réussite du film. On est presque dans un Cluedo grandeur nature, très ludique et malin.
Côté casting le réalisateur s'entoure de toute une galerie d'acteurs avec lesquels il commencera une vraie collaboration pour certains, je pense à Pierre Larquey ou Noël Roquevert. Les seconds rôles sont tous excellents et offrent des compositions très excentriques, en venant même à supplanter les vedettes dans ce qui est une tradition du cinéma français d'avant-guerre. Suzy Delair déploie une énergie comique ébouriffante en lorgnant constamment avec le surjeu. Tour à tour adorable puis détestable elle incarne indubitablement un personnage marquant, peut être la plus humaine d'ailleurs.
Si l'on peut reprocher à Clouzot de vouloir parfois trop en faire, notamment dans la séquence finale en utilisant le dialogue et une référence orale explicite à Le Petit Poucet, là où l'image et le montage suffisaient largement pour transmettre l'information, on ne peut que s'incliner devant sa capacité à transcender un postulat et un matériau de base assez banal pour en faire un savoureux film policer français.
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Créée
le 12 juin 2024
Critique lue 11 fois
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