Des échanges, des idées, des chemins, des conflits : la rédaction commune d’un roman lors d’un atelier d’écriture amène au dialogue et au débat, attise l’imagination et le travail de mémoire. Olivia, écrivaine à succès, dirige cet atelier où sept jeunes de La Ciotat viennent se frotter aux mots et à la fiction (et à la parole, la leur comme celle de l’autre). Parmi eux il y a Antoine, buté, provocateur et secret. En confrontant son métier, en malmenant ses inspirations à la réalité d’un milieu qui lui semble éloigné (la parisienne cultivée face à une jeunesse qui grandit avec Daesh, 10% de chômage et une crise qui n’en finit pas) et à la colère sourde d’Antoine, Olivia va essayer d’insuffler talent, plaisir et confiance, et d’analyser aussi (d’utiliser ?) le malaise d’Antoine au fil d’une relation de plus en plus ambiguë.
D’une mécanique de groupe où le verbe ne cesse de bouillonner, de rebondir et de tacler, le film se resserre au fur et à mesure à celle d’un duo (on pense alors à 120 battements par minute de Robin Campillo qui, comme un fait exprès, est coscénariste de L’atelier), puis finalement à celle d’un duel entre Olivia et Antoine, psychologique et physique (de l’attirance à l’opposition), duel dont les contours et les enjeux évolueront vers une sorte de constat d’impuissance, de mondes qui n’arriveront pas à se comprendre. Il en va de même pour sa dimension sociale (un groupe de jeunes en insertion tout droit sorti d’Entre les murs et La graine et le mulet, attachants mais chacun un peu trop stéréotypé dans sa posture) et politique (le passé ouvrier et communiste du chantier naval de La Ciotat) qui permutera en celle d’un film noir, d’un polar étrange (révolver, clair de lune et décor minéral) qui n’en serait pas un, mais davantage un drame où surgirait l’expression de sa propre violence (par l’écriture ou par désœuvrement).
Laurent Cantet s’attache surtout à Antoine dont il fait le symbole d’une certaine jeunesse. Une jeunesse qui doute, s’égare par dépit, par colère ou par ennui, tentée par l’extrême droite parce que ça emmerde, parce que ça fait antisystème, et pour qui la possibilité de tuer paraît tout aussi envisageable qu’un plongeon dans la mer. Tuer sans raison (ni meurtre ni suicide) et n’importe qui (ou des Roms) pour voir si c’est possible, pour voir ce qui va se passer. Entre fantasme et tentation, la frontière pour Antoine (celle du passage à l’acte, celle du nationalisme) paraît poreuse, incertaine (que va-t-il faire à Olivia ?), et la transgresser serait comme un "faute de mieux", une solution, la volonté de pallier un avenir confus et sans désir, rattrapé in extremis lors d’une dernière scène faisant office d’happy end maladroit, quand la lecture d’un texte d’Antoine, juste avant, venait pourtant clore le film avec rudesse et beaucoup d’émotion.
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