On craint d’abord d’avoir affaire à un dispositif dans la veine de celui sur lequel reposait Entre les murs. Pas que ça m’avait dérangé pour ce denier, mais c’était à mon sens la grande limite du film, de s’interdire de s’extraire des murs de l’école. Si le titre de ce nouveau film ne ment pas, puisque l’action se concentrera principalement au sein de ce groupe d’écriture pour jeunes en échec scolaire, le récit, lui, va moins s’ancrer dans le lieu – qui par ailleurs change constamment contrairement à la classe de 4e – que s’intéresser en profondeur à deux de ses éléments : Antoine et Olivia.
Le premier est un garçon solitaire qui passe le plus clair de son temps dans les calanques ou sur les jeux vidéo. Il est suiveur dans le groupe de potes de son frère, mouton noir au sein de l’atelier d’écriture tant ses propositions de textes choquent et ses positions idéologiques sont problématiques. La seconde est une écrivaine parisienne réputée qui prend en charge cet atelier par amour de la transmission et du partage. Elle va s’intéresser à Antoine, elle va avoir peu de lui, être attiré par lui – Jusqu’à y trouver, pourquoi pas, l’essence d’un nouveau personnage pour son roman.
En définitive, c’est ce glissement qui redynamise (Les premières minutes font état d’un tableau sociologique un poil trop complet et stéréotypé) mon intérêt dans les films de Cantet : Il s’agit chaque fois moins de l’histoire d’un affrontement que d’une rencontre entre deux pôles pour éveiller les consciences et bouleverser habitudes et certitudes. Il y a dans L’Atelier ce qui irriguait déjà Ressources humaines il y a plus de quinze ans à l’échelle de l’Entreprise, il fallait en passer par une collision frontale pour (se) comprendre.
Une scène cruelle entre un père et son fils, autour d’une perforeuse, nous arrachait les larmes. Là il faudra une arme à feu, vecteur de haine et de peur – Rarement été aussi angoissé par un flingue devant un film, aussi bien dans ce moment glaçant du camp de Roms que durant l’intrusion d’Antoine chez Olivia – pour dynamiter la confrontation et faire imploser la fascination/répulsion pacifique qui régnait entre eux. Toute proportion gardée, j’ai beaucoup pensé à Elephant, de Gus Van Sant, il me semble que les deux films communiquent sur de nombreux points : Antoine pourrait aisément être un acteur de la tuerie de Columbine.
Mais surtout et c’est sur ce point que L’Atelier me semble être bien davantage qu’un énième film sur un inadapté au monde, c’est aussi un brillant « essai » politique, moderne, complexe, dans la veine (mais en plus beau, subtil et mystérieux) du Chez nous, de Lucas Belvaux (qui racontait aussi la tentation de l’extrême droite) qui choisit de s’ouvrir sur l’avenir plutôt que de se fermer dans le conte glacial et cruel. Durant la dérive nocturne un peu avant son épilogue, séquence prodigieuse (mais ô combien casse-gueule) qui tire le film déjà beau vers le sublime, j’étais vraiment pas bien et c’est sans doute ce qui me rend sa sortie si bouleversante je pense.
Car le dernier quart du film pourrait bien être le plus beau de la filmographie de Cantet tant il fait se répondre le réel et la fiction, le dialogue et l’écriture. Ce meurtre qui n’était encore qu’ébauches au chœur de l’atelier trouve un écho au clair de lune, dans une dérive apparemment insoluble et doucement oppressante qui fera renaître le personnage par la parole dont l’équilibre menaçait chaque fois de tout faire s’effondrer. A cette description meurtrière brutale qu’avait fait plus tôt Antoine, réprimandée par ses « collègues » d’atelier, répond une libération pacifique, aussi par les mots, comme unique moyen de s’en sortir, comme unique moyen de faire parler la colère pour la transformer en désir de rebondir dans la société, dans la vie. Ce bien que cette issue soit encore très incertaine au regard de ce qui reste à accomplir, il me semble qu’elle traduit un premier combat de gagner, avec la sensation qu’Antoine a davantage à (re)construire que les anciens « héros malades » des films de Laurent Cantet.
L’auteur ne m’avait jamais paru si optimiste. Ressources humaines avait beau se fermer sur un acte de résistance, c’était dur, un peu désespéré. Là non, c’est d’une part extrêmement vivant dans la mise en scène (Car c’est aussi un film hyper solaire, qui outre l’atelier se partage en excursion portuaire, balade sur les rochers et terrasse de forêt) et utopique dans ce qu’il véhicule d’une prise de conscience complexe. C’est quasi Campillo qui fusionne avec Guédiguian, sur la fin. Ça me plait. Et puis le film est aussi un beau document sur La Ciotat, il en fait ressurgir les fantômes de son passé ouvrier, notamment son chantier naval, et il en dresse un portrait tirant vers le mythe, au point qu’Olivia (Sublime Marina Foïs) demande à son groupe d’élèves d’écrire leur fiction autour de leur ville. Quelque part oui, La Ciotat est le troisième personnage fort du nouveau film de Laurent Cantet.