Laurent Cantet s'entoure au scénario de Robin Campillo qui avait déjà attiré l'œil avec sa réalisation de l'émouvant 120 battements par minute, de Marina Fois qui impose sa crédibilité et de jeunes acteurs non professionnels d'une belle spontanéité -même s'ils empilent à peu près tous les clichés-. On remarque alors et surtout Matthieu Lucci qui rayonne d'un certain magnétisme et interpelle à chaque plan par son naturel et ses expressions subtiles, marquant à lui seul de son silence renfrogné et de ses regards noirs, toute la difficulté à gérer ses émotions, sa place sociétale entre chômage et petits boulots, son addiction aux réseaux sociaux envahissants et ses envies guerrières.
La cour ensoleillée du centre d'insertion remplacera pour un temps, le quotidien de la banlieue pour un atelier d'écriture mené par Olivia parisienne et auteur reconnue, venant insuffler son talent au groupe, en toute confiance et méconnaissance. Si les séances par leur répétition ne sont guère marquantes, on y retrouve la préoccupation du cinéaste sur la jeunesse en pleine débâcle. La stigmatisation, la souffrance et le rejet, celui qui permet de se sentir exister, et le fossé qui existe entre deux opposés.
Le travail à la réflexion reste basique sur les ressorts mis en place, (la didactique par les échanges et la sollicitation) mais c'est l'occasion de lier l'intime au collectif et de nous rappeler à la mémoire, par la réappropriation de l'histoire de la ville de la Ciotat et des solidarités d'antan, pour renforcer la cohésion du groupe.
Par des images d'archives, on nous rappelle à la grande époque industrielle de cette ville et à ses étrangers qui y auront travaillés et participé à son essor. Une grande nostalgie pour ce milieu ouvrier qui aura laissé place aux ports de plaisance d'un côté et à la misère de l'autre, en passant par les sympathies communistes et la transmission familiale. Tout un panorama montré et parlé d'une ville et de son chantier naval, dont il ne reste que les vestiges à destination des touristes. On y verra alors un paquebot mis à l'eau et raflant tout sur son passage. Si cette scène périlleuse a fait rire un certain nombre de témoins à l'époque, elle impressionne par le miracle du peu de morts. Des hommes tombent à l'eau balayés comme des pantins par la vague, des voitures les suivent de près et d'autres regardent, particulièrement stoïques, la belle manœuvre bancale.
Après Karim D plus cinématographique, on retrouve le flou d'un personnage entre difficulté de communication et besoin de reconnaissance. Antoine sera l'élément perturbateur du groupe se fourvoyant entre crise identitaire et vengeance mal cernée, pendant que les autres trouvent un autre moyen à leur désœuvrement en cherchant le meurtrier idéal pour leur roman défouloir. Un roman à écrire à plusieurs mains et surtout à éditer, pour renforcer la confiance de ces jeunes si ce n'est en leur aptitudes littéraires, dans celles à voir la richesse du travail collectif, de l'art et de la créativité. Si seulement. Cantet le dira lui-même, le travail a été dur, tant l'un des participants au film, naviguait déjà à vue dans un environnement lié à l'extrême droite. Le cinéaste, sans en faire trop dénonce ce que l'ennui génère de dangerosité par la main mise des aînés en choisissant une ville du Sud où le mouvement est bien en place.
L'aspect documentaire prédomine en l'agrémentant d'une sous-intrigue tendance thriller, qui vient se substituer au roman noir en gestation. Le récit opte alors pour un léger soupçon de romanesque, quand il s'attache au duo formé par Olivia et Antoine. Mais ce sera pour en révéler les failles et l'incommunicabilité, axant sur les non-dits et renforcer l'attaque d'Antoine, revanchard vis-a-vis d'Olivia et de la fatuité de son écriture. L'écrivaine montrera alors la limite de son investissement dès lors qu'elle est mise en cause à se soumettre à ses propres limites, tour à tour agacée par ses provocations, interpellée par ses réflexions. Le rapport de force s'inverse lors d'une scène particulièrement crédible quand Olivia, effrayée par ce qu'elle pressent de la violence d'Antoine, fuira sans demander son reste, le laissant seul et armé en pleine nuit. L'occasion de mettre en valeur l'environnement du site, et la perte des repères sous le clair de lune.
Le film aurait pu s'arrêter là.
On peut alors regretter que le cinéaste fasse d'Olivia celle qui aura su ramener sur le droit chemin ce jeune révolté par une sorte de mea-culpa maladroit d'Antoine, lors de ses adieux au groupe, balayant sa force supposée jusque-là.
Malgré ça, une excellente surprise où l'on ressent une réelle empathie de Laurent Cantet à donner toute sa confiance à la jeunesse dans une société qui les malmène et de révéler toute la problématique à se construire un avenir hypothétique.