L'Attachement
7.5
L'Attachement

Film de Carine Tardieu (2024)

L'attachement: La puissance de la douceur

Carine Tardieu réussit avec L’Attachement une comédie dramatique dense en émotions et questionnements sur ce qui distingue l’amour de l’attachement, sans verser dans le mélo et en laissant toujours entrer la légèreté et la gravité des possibles de la vie et de ses aventures.


Par le choix de ses acteurs d’abord, la cinéaste instille l’émotion et la nostalgie.

Aller chercher Catherine Mouchet pour jouer une grand-mère un peu atteinte d’Alzheimer ayant de la difficulté à s’occuper d’un nouveau-né (ici, Lucille, au rythme de laquelle le film est construit) est un choix fort, à part. Une scène de repas de famille avec Mouchet suffit à situer le film dans la tradition des classiques naturalistes, à imprimer du Alain Cavalier ou du Claude Sautet des Choses de la vie et à faire de L’Attachement un film excessivement touchant.


Pareil pour le choix de tous les comédiens (Marie-Christine Barrault, Pio Marmaï, Valeria Bruni-Tedeschi, Raphaël Quenard en tête) remarquables de justesse, de sensibilité et de sobriété dans des situations qui auraient pu être très improbables à jouer, car casse-gueule.


On sent une direction d’acteurs animée par « cette puissance de la douceur » qui irrigue la mise en scène et l’histoire. On sent l’amour partout. – Il n’y a que l’amour dans ta vie, dit un des personnages. L’Attachement nous fait éprouver par tous les miroitements du récit et ses revirements la vérité de cette phrase. Un amour qui a su faire face à la violence du deuil, de la perte et se réconcilier avec la vitalité de ce que la vie reste à offrir. Un amour qui n’est pas conflit, mais bonté. Carine Tardieu, comme déjà dans son précédent film Les Jeunes Amants (magique et magnifique histoire d’amour entre Fanny Ardant et un homme plus jeune, Melvil Poupaud), va chercher ces circonstances des amours insolites et im/possibles, des amours inattendus, non identifiables immédiatement, des amours thérapeutes et salvateurs. Pas les amours ravagés et destructeurs.


Sandra (Valeria Bruni-Tedeschi, délicieusement tendre) est la voisine célibataire, féministe, un peu bougonne et paraissant égoïste d’Alex (Pio Marmaï, toujours excellent), nouvellement veuf et père d’une petite Lucille dont la mère est morte à l’accouchement. Alex a déjà un fils adoptif (Eliott) de sa femme morte.


L’Attachement se meut au rythme du grandir de Lucille en tissant ses liens narratifs ténus, fragiles et fugitifs comme des paysages d’attachements progressifs entre ses personnages. C’est d’abord Eliott qui transfère toute son affection sur cette voisine, présente au bon moment, puis Alex, puis l’ex-mari de la femme morte (incarné par un Quenard tout en discrète présence et beauté grave). Enfin, c’est tout le récit qui se cristallise et miroite autour de la voisine. Un peu psy sur les bords, Sandra tente de prévenir Alex : – C’est pas de l’amour, c’est ton deuil que tu fais avec moi. Le film est très beau ici d’aller d’abord confirmer le sens de cette analyse puis de lui apporter un démenti.


Les sensations, les situations, la mouvance toujours un peu bancale et instable des aléas des émotions, la musique mélancolique d’Éric Slabiak, c’est cela que la cinéaste traduit avec talent, charme et fluidité : la sensation vibratile de la durée et du mouvement des petites émotions qui sans cesse nous accompagnent, nous dévient et nous emportent dans nos choix.

« L’Attachement est un sentiment d’affection durable qui unit aux personnes ou aux choses, mélange d’amour, d’amitié, de tendresse » : le film rayonne de toutes ces qualités. La délicatesse des sentiments est l’inspiration de l’écriture.


On est traversé par ces attachements polymorphes, paysages intimes dévoilés par les psychés alertes et bienveillantes des personnages écrits avec tact et joués avec une intuition précise de la relation.


Carine Tardieu nous transporte finalement dans une famille, la sienne, avec des liens d’élection, pas ceux dictés par les normes. Le foyer, pour elle, n’est pas un espace-temps toxique ni un lieu-lien à fuir. Contre un fait social de plus en plus avéré et systématique où il faudrait couper, trahir les origines ou fuir la famille, L’Attachement propose d’autres explorations et nous invite à la réinventer sous des perspectives lumineuses et moins stéréotypées.

VioletteVillard1
8

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il y a 5 jours

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