Cette image, ça fait un petit bout de temps qu'elle revient dans mon esprit : cet aperçu de l'enfer, plaine désertique blanche comme l'os, parsemée de corps allongés que la vie a (espérons-le) quitté, envahie par la brume où se cachent les pires abominations.
On pense bien sûr au neuvième cercle de l'enfer, dans l'oeuvre éponyme de Dante, où les damnés sont emprisonnés pour l'éternité dans un lac de glace, mais aussi au désert blanc entourant cette fête foraine abandonnée du Carnaval des Âmes.
Cette image, elle vient d'une perle signée Lucio Fulci, grand nom du cinéma d'horreur, amoureux du sanglant et du provocant, et réalisateur entre autres de l'Enfer des Zombies, référence fameuse de cette frange du cinéma figurant des morts pas vraiment morts.
Je n'ai pas encore exploré le reste de sa filmographie, mais l'esprit du cadavre emmuré dans ma maisonnée me chuchote que Fulci fait ici une synthèse de toute la came qu'il a produite par le passé, au programme : enfants morts, zombies, araignées grignoteuses de visages, surnaturel à tout va et j'en passe des vertes et des pas nettes.
La perle noire qui s'en vient débute durant les années 20 par le lynchage et la mise à mort d'un artiste probablement sorcier à ses heures perdues, répondant au doux nom de Schweick, qui a osé représenter l'enfer en peinture, défiant par là Dieu et les bonnes moeurs, écho de Fulci lui-même, qui fut souvent censuré à cause de la violence extrême de son oeuvre, mais aussi du sorcier Joseph Curwen, dans l'Affaire Charles Dexter Ward, son crucifiement sur le mur du sous-sol fait même de Schweick une figure christique.
L'influence de Lovecraft, le nerd de Providence, ne s'arrête pas là, est aussi présent le Livre d'Eibon, ouvrage surnaturel contenant les secrets de ce qui existe par-delà le réel, se faisant l'héritier de cette longue tradition au sein de l'horreur cosmique qui consiste à mettre des livres maléfiques à la pelle. On pense bien sûr au Necronomicon, mais aussi à son premier représentant, aussi nommé Livre d'Eibon, qui apparaît dans la nouvelle Ubbo-Sathla (1933), de Clark Ashton-Smith (dont j'ai d'ailleurs critiqué l'un des bouquins ici), ou à d'autres comme De Vermis Mysteriis, dans le Tueur Stellaire (1935), de Robert Bloch.
50 ans après son assassinat d'une rare brutalité, où son visage fut anéanti, une femme emménage dans l'hôtel où il a été tué, elle n'aurait pas dû, car il fut bâti sur l'une des sept portes de l'Enfer.
A partir de là, les pires abominations vont se déchaîner, et les nombreux personnages vont se faire décimer les uns après les autres dans des scènes d'une sacrée brutalité, et qui foutent bien la pétoche, en se faisant d-é-f-o-n-c-e-r le visage au passage (mention spéciale à la mygale qui tire sur l'oeil d'un gars jusqu'à l'arracher, ça c'était bien bien dégueu).
L'Au-delà est viscéral, et sanglant, et lovecraftien, et très atmosphérique, et sombre, et empreint d'une poésie ténébreuse. La puissance évocatrice de ces éléments est renforcée par le manque total et absolu de cohérence narrative, de liant entre les scènes, qui semblent s'enchaîner de manière confuse, et de réelle profondeur chez les personnages, cette confusion et cette aryhtmie sont voulues par Fulci, grand amoureux du jazz, qui veut ici récréer l'ambiance d'un cauchemar dans tout ce qu'il a de sans queue ni tête.
Il n'en a pas grand-chose à faire du scénario, des personnages, ou d'une réalité cartésienne, ce qui importe pour lui, c'est l'image, l'image qui frappe la rétine et l'esprit, l'image qui met des jours à être digérée.
Bien sûr, Fulci s'est inspiré de Suspiria et Inferno, de Dario Argento, dans son histoire (coucou le coup du bâtiment qui abrite un noir secret, ou celui de l'aveugle tué par son propre doggo) comme dans son esthétique, mais surtout par le Carnaval des Âmes (mais si, vous vous souvenez, l'oeuvre que j'ai brièvement cité plus haut, et qui est d'ailleurs disponible sur Youtube), oeuvre sur pellicule fantastique sorti en 1962 et racontant l'histoire d'une femme réchappant à un accident de voiture,à qui il arrive des trucs pas très catholiques.
En plus du désert blanc, Fulci en tire la rencontre surnaturelle sur la route, lieu symbolisant le passage vers l'autre monde, l'être surnaturel qui vient harceler les protagonistes de manière récurrente, le coup de la créature qui se cache juste sous l'eau, etc...Notez également que ce film a beaucoup inspiré David Lynch.
A la fin, le cauchemar ne se termine pas, l'héroïne étant égarée à tout jamais dans cette dimension infernale où les chuchotis des damnés résonneront pour les siècles des siècles.
Chez Fulci, l'Au-delà existe, mais c'est un Au-delà où Dieu brille par son absence.