Quand je vois ce que donne ce premier Kobayashi visionné, avec sa façon insidieuse de prendre aux trippes sans se servir d’une palette émotionnelle évidente —sombrant dans la sensiblerie ou la facilité, je me frotte les mains par avance à l’idée d’enchainer les trois Ningen, Kwaidan ou encore Harikiri ; tous au firmament des notations de mes éclaireurs.
D’abord un mini coup de gueule : ce titre traduit avec une stupidité sinon inédite, du moins confondante, une fois n’est pas coutume. En effet Inochi bonifuro ça ne se traduirait pas par L’auberge du MAAAAL, mais plutôt par quelque chose qui se rapprocherait d’un « Jetons notre vie en l’air » ou «Nous donnons notre vie pour rien » plus en adéquation avec l’histoire. (Merci à @ThoRCX pour l’aide à la traduction)
Donc non, pas de Fernandel dans ce film. (Vous apprécierez la référence)
Inochi bonifuro c’est de prime abord un noir et blanc austère et une ambiance immédiatement lourde ; l’auberge « paisible » du film se situant sur une ile marécageuse, physiquement et symboliquement isolée du reste du monde. Kobayashi nous la donne à percevoir par le prisme des autorités locales comme une sorte antichambre de l’enfer, lieu de crime et de sauvagerie, habitée par les âmes damnées de bêtes sauvages en perdition.
En effet, l’atmosphère glauque à couper au couteau de l’établissement prend vite à la gorge, appuyée par le travail de Toru Takemitsu dont le traitement sonore fera place au silence avant de revenir intriguer et titiller une fascination grandissante pour la peinture d’un lieu aussi singulier qu’inquiétant. L’auberge est un lieu sombre, théâtre d’agissements illégaux et de débordements de caractères, à la fois désolée et grouillant de vie ; celle apportée par une poignée de contrebandiers définis par le terme d’handicapés sociaux.
Les personnages semblent donc autant redoutés que mis à l’écart par leur inaptitude à mener une vie socialement acceptable, par défaut d’éducation et de chance ; ce qui au passage caresse l’idée que l’homme est le produit de son environnement. Cette idée est indirectement renforcée par la façon dont le récit prend le parti de se placer du côté des bandits, suggérant l’observation, la compréhension, l’attachement, et in fine l’empathie.
Seul rayon de lumière dans ce lieu moribond, la fille du patron de l’auberge qui fait figure de représentation du changement de regard du spectateur sur les hors-la-loi, notamment sur Sada l’indifférent (Nakadai), lui même induit par l’intrusion d’un personnage dont l’histoire va toucher et provoquer leur changement de direction.
C’est justement cet élément rapporté qui va modifier la perception des protagonistes et du film, jusqu’à la morale finale de l’histoire.
Côté réalisation Kobayashi, que je découvre avec ce film, réussi à s’affranchir d’une structure en quasi huis clos imposée par un décor restreint en multipliant placements et mouvements de caméra, ce qui a pour effet de ne jamais lasser et de participer à construire un cheminement psychologique très intéressant. Tout d’abord confinés à la pièce principale de l’auberge, les personnages sont montrés en tant que bande, bruyante et désinvolte. Ce n’est que petit à petit que les caractères se distingueront, parfois lors de plans ou de scènes isolées ; diversifiant ainsi le point de vue sur les lieux et les esprits.
Si je dois nuancer en admettant qu’il n’est pas forcément facile de plonger immédiatement dans ce film à l’ambiance pesante et à la forme a priori austère, je me dois aussi de préciser que c’est parfois glauque, certes, mais souvent prenant, parfois cynique mais non dénué de touche d’espoir, cruel et triste, souvent tendu mais surtout toujours intriguant.
Parmi une interprétation générale de qualité je voudrais au passage saluer un Tetsuya Nakadai —le remplaçant de Mifune dans le cœur de Kurosawa— au regard fou qui navigue entre colère et compassion sans jamais délaisser une certaine indifférence avec beaucoup de talent, chose dont j’ignorais qu’il était capable vu que je le découvre lui aussi sur Inochi bonifuro. Du côté des familiers j’ai beaucoup apprécié un Shintaro Katsu imbibé qui donnera lieu à une scène douce amère qu’on attendait plus à force de le voir cuver sur sa table. D’ailleurs j’ai fréquemment trouvé malin comme la mise en scène rendait souvent personnages et situations difficiles à cerner ou prévoir.
Et encore une fois, c’est un final éblouissant —à la limite de l’épouvante fantastique— qui achève de persuader qu’on est tombé sur un film surprenant par ses forces de suggestion et émotionnelles solides et son traitement insidieux qui marque la rétine, l’ouïe et l’esprit.
Et il paraît que c’est pas le chef d’œuvre de Kobayashi.