L'homme est-il bon ? Est-il méchant ?

Contrairement, me semble-t-il, à l'opinion générale, j'ai bien aimé ce film. Je l'ai trouvé prenant, surprenant. Je n'ai pas été capable d'identifier la ville allemande dans laquelle tout ça se déroule, mais l'histoire racontée m'a semblé si dense que je l'ai crue adaptée d'un roman, alors que c'est un scénario original, d'ailleurs co-écrit par la réalisatrice Ina Weisse. Et les personnages m'ont intrigué, intéressé... non seulement l'héroïne principale Anna Bronsky, professeure de violon au Conservatoire de musique (formidable Nina Hoss qui rappelle les grandes actrices suédoises d'Ingmar Bergman, voire Jeanne Moreau à son meilleur ou, plus près de nous, Emmanuelle Devos), mais aussi tous ceux qui, peu ou prou, gravitent autour d'elle, qu'ils soient de sa famille ou pas : 1. son mari (Simon Abkarian, très crédible dans son rôle et qui, franchement, assure) français et luthier de profession qui, donc, fabrique des instruments de musique portables à cordes, violons, guitares, etc. ; 2. Jonas, leur fils de 12-13 ans qui partage ses journées entre l'apprentissage du violon au conservatoire et le hockey sur glace et qui a des rapports difficiles, voire conflictuels parfois avec sa mère, en même temps qu'il jalouse l'attention que celle-ci porte à ses élèves ; 3. Alexander, le nouvel élève d'Anna Bronsky, un petit jeune homme doué, gentil, sensible et que la professeure veut coûte que coûte porter à l'excellence ou du moins dont elle veut tirer le meilleur, afin qu'il réussisse son audition d'entrée au Conservatoire ; 4. Christian, l'amant (plus ou moins ex-amant) d'Anna, violoncelliste et directeur d'un orchestre de chambre devant prochainement donner un concert dans la ville et qui, pour celui-ci, souhaite l'intégration d'Anna dans son orchestre comme violoniste ; 5. le père d'Anna, un vieux bourgeois bougon et violent qui, après le décès de sa femme, la mère d'Anna, s'est mis en ménage avec celle qu'Anna appelle "tante Hilde" et qui cherche à... endurcir (?) son petit-fils Jonas (en lui plongeant notamment la main dans une fourmilière !) ; 6. Mme Köhler, l'autre excellente professeure de violon au Conservatoire de musique (elle donne des cours à Jonas et on la sent un peu rivale d'Anna sur le plan professionnel).
Tous ces personnages ont de l'épaisseur, une part de mystère. D'Anna Bronsky (Allemande mais parfaitement bilingue franco-allemand, et dans le film on passe parfois du français à l'allemand avec sous-titres et c'est très habilement fait), on peut même dire qu'on ne sait pas trop, pendant tout le film, ce qui la meut vraiment. Elle est (tout ça parfaitement rendu par Nina Hoss) secrète, taiseuse, partagée (ô combien) ; à la fois hyper sensible et dure, perfectionniste, instable, ne sachant jamais ce qu'elle veut, ce dont elle a envie, inquiète, maladroite avec son fils, sachant mal lui montrer son amour, exagérément autoritaire et dure avec son élève et si exigeante envers lui qu'ils sont sans cesse l'un et l'autre au bord du craquage et qu'on se demande comment tout ça va finir. Et il y a des surprises, vous verrez.
Donc, histoire intéressante, atmosphère plutôt sombre et tendue. Milieu moyenne / grande bourgeoisie (très beaux intérieurs, très belle villa des parents d'Anna). Bon casting, soigné jusque dans ses plus petits personnages (par ex. la compagne du grand père : tronche superbe) ; les deux ados Jonas et Alexandre, qui ont, dans le film, des rôles plus importants qu'il n'y paraît d'abord, ont été très judicieusement choisis : bonnes bouilles (et corps marrants, l'un plutôt râblé, l'autre en asperge ), exprimant des caractères dont on perçoit bien les différences, pourvu qu'un peu d'attention leur soit accordée ; les deux "hommes" d'Anna, son mari et son amant, sont objectivement rivaux, mais leur rivalité amoureuse, curieusement, n'est pas déclarée. Ont-ils conscience de cette rivalité objective sous-jacente ? Le mari est-il si sûr de l'amour que lui porte sa femme pour ne pas se soucier de la nature du lien existant entre elle et son possible amant (Christian) ? La réponse est laissée à l'appréciation du spectateur.
Sans être exceptionnelle, la photographie est bonne. J'ai été frappé par les couleurs utilisées. La lumière est un mélange de noir et de jaune or (légèrement rougissant). Les vêtements sont vert sombre, bleu sombre. Les décors tirent sur le brun, le marron, le noir ; dans les intérieurs, il y a beaucoup de panneaux de bois brun sombre. Les pièces sont souvent plongées dans une demi-obscurité. On évolue dans un clair-obscur presque permanent. Il y a pourtant bien, vers la fin, une scène de neige (qui apporte une sorte de respiration à l'histoire), mais la neige y est, non pas éblouissante, mais un peu grisâtre. Les personnages, eux aussi, sont clairs-obscurs, capables du meilleur comme du pire, par ex. d'un délicat souci de la douleur animale comme d'un croc-en-jambe aussi impulsif qu'assassin. La réalisatrice Ina Weisse a certainement voulu mettre en scène la complexité, l'ambiguïté de la nature humaine.
Bien servie par une équipe technique et des acteurs à la hauteur, elle y a, je trouve, parfaitement réussi. L'Audition est un beau film (particulier et mystérieux dans son climat ; intrigant, attachant et cruel par son histoire et les "héros" de celle-ci) qui, au minimum, fera le bonheur des mélomanes franco-germanistes.

Fleming
7
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le 12 nov. 2019

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