Ca commençait presque bien en plus, la lumineuse Carole qui essaie de pêcher dans une jolie rivière, le beau Cary qui arrive sur son fidèle destrier, un pique-nique en calèche qui suivra, un petit ton de légère comédie amoureuse…
Et puis, comme le remarquait habilement Pruneau, ce tâcheron de John Cromwell qui fiche tout ça dans le mélo-tragique au milieu du film comme pour Anna et le roi de Siam, comme pour Le lien sacré aussi, avec toujours la belle Carole qui sortira la même année…
En plus, ici, pas de mort d’enfant tragique ou de maladie incurable pour justifier du drame en train de se jouer, non, juste une satanée épouse machiavélique fine comme un chameau qui parvient à mener ce couillon de Cary par le bout du nez à défaut d’autre chose (la Kay Francis de Haute Pègre, absolument terrifiante…).
Alors on s’empêtre dans l’absurde le plus complet jusqu’à cette hideuse scène surréaliste où la délicieuse Carole se fait traiter plus cavalièrement qu’une prostituée par un tenancier d’hôtel pour cause de non-épousailles… Et là on se surprend à derrière le sujet, malgré lui, comme une dénonciation radicale par l’absurde du saint sacrement du mariage, la preuve s’il en était encore besoin qu’il ne s’agit ni plus ni moins qu’une résurgence injustifiable des temps barbares, une monstruosité hypocrite qui transforme l’Etat et/ou l’Eglise en mère maquerelle, une aberration tellement grotesque que la prétendue civilisation aurait oublié de l’abroger dans un moment de distraction qui frise la non-assistance à personne en danger…
Je m’égare, je m’égare, mais si vous saviez comme c’est ennuyeux un film qui gâche la jolie Carole et le divin Cary alors qu’ils ne demandaient qu’à s’ébattre joyeusement, là-bas, au bord de leur rivière, entre la petite gamine un peu two much et le bon gros Charles Coburn pour qui il aurait fallu songer à écrire un rôle…
Comme le monde est injuste, John finira nonagénaire et la conscience au repos, alors que la merveilleuse Carole ne dépassera pas les trente-trois ans, son avion pris en urgence pour surveiller son chimpanzé lubrique de Clark Gable s’écrasera trois ans après ce film près de Las Vegas, en pleine pré-production de To be or not to be, le dernier film où s’étalera à titre posthume toute la grâce indescriptible d’un petit bout d’ange ravissant à l’extrême.