Comme dans l'Homme sans passé, autre film magnifique de Kaurismäki, le réalisateur finlandais met en scène non pas un, mais deux hommes dont la vie repart à zéro : Khaled, Syrien d'Alep qui laisse derrière lui les cendres d'un passé heureux et Waldemar, un quinquagénaire qui tente une reconversion professionnelle dans la restauration.
Tout semble les différencier - l'âge, la culture, le métier, le statut social et les préoccupations du moment (survivre pour le premier, revivre pour le second). Mais Kaurismäki entend nous montrer avec son histoire qu'il y a bien plus qui rapproche ces deux hommes que ce qui semble les éloigner.
Tous deux tentent chacun à leur manière un coup de bluff pour changer de vie : l'un joue franco avec les services d'immigration, l'autre joue banco dans une fantastique scène de poker. Tous deux font ensuite table rase du passé : Khaled des interdits religieux et Waldemar de son stock de chemises. Et enfin tous deux décident de faire confiance aux hommes et femmes qu'ils rencontrent sur leur chemin.
Cette confiance naturelle dans l'humanité des gens simples porte la plupart des films de Kaurismäki et cela se traduit ici par une galerie de figures particulièrement attachantes. Des personnages étonnants, originaux, non exempts de défauts mais, pour peu qu'on leur en laisse l'occasion, qui sont tout prêts à des actes de courage ou de solidarité : une femme qui laisse une porte ouverte permettant une évasion inespérée, des SDF qui mettent en fuite des nazillons... La musique, génératrice universelle de bien être, symbolise au mieux cette idée que les hommes ont plus de choses en commun qu'on veut bien leur faire croire : ces interprètes qui partagent des chansons dans les rues, Khaled improvisant sur une guitare pour ses compagnons d'exil, ou encore ce morceaux traditionnel qu'entonnent deux vieux Finlandais dans un bistrot et dans lequel se retrouvent les deux réfugiés.
Pour autant, ni la facilité, ni l'angélisme ne sont l'apanage du réalisateur finlandais. Et d'égratigner ici la bureaucratie désincarnée des pays occidentaux ou là ces nostalgiques du troisième Reich dont la haine le dispute à la lâcheté.
Après Le Havre, à mon avis moins abouti, Kaurismäki, dans ce deuxième épisode de sa trilogie sur les migrants, réussit le pari d’enlever aux médias le monopole du discours sur cette question tout en réunissant les ingrédients qui ont toujours fait le sel de ses films : personnages singuliers, situations cocasses et humour pince-sans-rire.
Un beau film d'un grand monsieur.
Personnages/interprétation : 9/10
Histoire/scénario : 8/10
Réalisation/mise en scène : 9/10
9/10 <3