L’AUTRE COTÉ DE L’ESPOIR (14,2) (Aki Kaurismäki, FIN, 2017, 98min) :
Cette fable politique douce-amère nous entraîne vers Helsinki pour narrer deux destins parallèles qui vont se croiser. Celui de Khaled, un réfugié syrien sans nouvelle de sa sœur dont il a perdu la trace en Turquie et Wikhström homme de 50ans ayant quitté sa femme alcoolique et son boulot de représentant pour ouvrir un restaurant.
Reconnu internationalement depuis 1990 avec « La fille aux allumettes » le célèbre réalisateur finlandais enchaîne depuis son cinéma où son style est marqué par une singularité dans le ton et les décors. Trouvant récompense avec le Grand Prix et le Prix d’interprétation féminine à Cannes en 2002 avec L’Homme sans passé, l’auteur creuse son sillon depuis et 6 ans après le triomphe critique de son dernier film Le Havre (2011), il nous revient avec un film en phase avec l’actualité : L’Autre côté de l’espoir.
Premier plan, un visage maculé de noir sort de façon inattendue d’un tas de charbon, avant qu’une ombre sorte de ce tas pour filer sous la douche et retrouver une apparence humaine une fois sa peau débarrassée de la suie. D’emblée le cinéaste nous convie à la parabole face à ces clandestins, sans identité et le rapport que nos dirigeants politiques ont vis-à-vis de ces réfugiés, souvent peu considérés comme des êtres humains mais juste des fantômes sans âme.
Aki Kaurismäki nous convie à cette odyssée inventive avec sa dérision habituelle. La mise en scène tout en décalage et contre-point se compose de plans très précis ou les décadrages et les plans fixes renforcent le côté fable. Le cinéaste mélange les genres avec jubilation. L’aspect suranné des décors donne un aspect roman photo par les teintes de couleurs. Un monde intemporel où les hommes sont gominés, portent des costumes vieillots, utilisent des ustensiles, des vieux téléphones et une vielle berline qui traverse la ville dans une ambiance de polar.
Un univers à part, hors du temps, traitant d’un sujet politique brûlant avec une poésie burlesque nous voilà en pays kaurismäkien. Deux destins particuliers pour conter la circulation des migrants et l’incompétence bureaucratique (centre d’accueil, poste de police, tribunal) et de l’Europe en générale pour traiter dignement du sort de ces hommes fuyant la guerre ou la pauvreté. L’auteur au style désuet, un peu déroutant, montre tout d’abord l’hypocrisie et l’opportunisme du restaurateur vis-à-vis de Khaled embauché comme homme à tout faire, dans le restaurant kitsch et si peu fréquenté.
Un lieu où le personnel semble totalement apathique (comme les instances européennes) et plus nombreux que les clients, malgré le changement de cuisine et de décors réguliers du restaurant (japonais, mexicain, allemand, italien..). Un no man’s land burlesque contant de manière originale une intégration sociale. Par petit touches loin du pamphlet contestataire et choc, la petite musique mélancolique du finlandais épingle avec pertinence cette Europe peu accueillante et les groupuscules néo-nazis sévissant dans l’ombre.
Cette œuvre iconoclaste dont la narration est un peu schématique est parsemée régulièrement de pastilles musicales à l’aide d’un vieux chanteur de rock’n’roll aux riffs de guitares chaleureux. Une respiration mélodieuse venant se mêler à ce casting réussi, de trognes assez délicieuses et savoureuses à voir évoluer dans un film où l’ombre de Chaplin veille avec bienveillance. Venez faire preuve d’altruisme et de fraternité en allant découvrir L’Autre côté de l’espoir. Tendre, lucide, drôle et humaniste.