Tout y est désuet, passé de mode depuis bien trop longtemps. Les couleurs sont trop franches, les chaises, les voitures hors d’âge, les homme hors d’âge. Les textures sont lisses, les pièces vides ou presque, mobilier réduit à sa plus simple expression. Rien ne détonne, rien ne dépasse, tout est clair, net et précis. Pas l’ombre d’une poussière, même au sein du charbon duquel émerge le film. Il faudra attendre que Khaled évoque Daesh pour être bien sûr que la chose se déroule à notre époque, non dans la modernité d’hier. Kaurismäki choisit un format inactuel. Il situe un questionnement explicitement « d’actualité » incarné dans le personnage de Khaled, réfugié Syrien fuyant Alep en ruines et qui trouve en Finlande une terre plus ou moins accueillante, dans un univers qui n’existe déjà plus. La Finlande de Kaurismäki possède le kitsch de l’archaïsme trop récent, plaçant les êtres qui l’habitent dans une situation de décentrement. Les voilà saisis en plein cœur des problématiques communément reconnues comme définissant notre temps mais recevant cela depuis leur propre marge, tous étranges, solitaires ou du moins contraints dans la restriction du groupe. L’Autre côté de l’espoir est un film sans masses. Il ne grouille pas de monde et de peuple. C’est une petite histoire qui concerne des petites gens depuis leur petite lucarne. Des gens qui existent.
Et qui n’existent pas, aussi. On est au cinéma, pourquoi le cacher ? Les situations sont trop absurdes, les difficultés se résolvent trop facilement, le mal et le bien interviennent trop arbitrairement, avec humour et tragédie souvent, toujours. L’incrustation de moments de musique populaire interprétée par des musiciens de rue ou des groupes de bar dansant sert non seulement de ponctuation au déroulement résolument lent du film mais encore bien davantage à l’expression d’une simplicité qui doit bien être du côté de l’espoir. Film lent, heureusement. Lent comme l’est l’attente, lorsqu’on confie son destin au bon vouloir d’autrui, surtout quand celui-ci arbore le visage peu souriant de la bureaucratie. Lent aussi comme ces hommes d’hier qui ne comprennent pas tout à fait ce qui se passe, ne cherchent pas à comprendre, mais sont là et font ce qui doit être fait, dignement — c’est le minimum. L’Autre côté de l’espoir prend le parti du minimum. De jeu. D’expression. De spectacle. D’émotion. De mouvement. Khaled errant n’est pas en mouvement. Il est fixé, constamment ramené à l’immobilité dans un monde qu’il n’a pas le droit d’arpenter, sinon accompagné d’un garde du corps peu bienveillant ou aidé par une rencontre heureuse. Son dénuement, qui n’est jamais misérable, c’est aussi cette dépendance constante vis-à-vis de la volonté de ceux qui peuvent, de ceux qui ont le droit, en useront comme ils veulent, plus souvent comme il peuvent. Il se découvre la condition d’un mineur, c’est-à-dire d’un enfant, qu’il incarne parfaitement, si petit, inconscient, naïf, innocent sûrement, qui rêve d’un peu de paix, d’un chez-soi qu’on connaît.
Kaurismäki nous offre un instant qui prend toutes les allures d’un jeu. Aux apparences pas très sérieuses, pas assez réaliste, exhaustif, trop candide, juste un instant. Et puis c’est un petit peu plus que cela. L’Autre côté de l’espoir n’est pas un film sur la crise des réfugiés. Il est toujours juste à côté de ce qu’on en attend, de ce qu’on en comprend. Bref, de l’art, ni plus ni moins.