Tout changer pour que rien ne change ?

La force de ce film est qu'il est assez minimaliste sur la forme comme sur le fond. Pas de virtuosité dans les mouvements de caméras ou de recherche stylistique dans les plans. La bande originale est anecdotique (en fait il n'y a pas de musique originale pour ce film). Le jeu d'Isabelle Huppert qui m'agace parfois (je trouve qu'elle a tendance à minauder ou à sonner faux) est ici parfaitement naturel. Pas non plus de grands événements mélodramatiques, de tambours ni de trompettes (je salue la manière dont le décès de la mère est traité, avec une grande sobriété). Quand Nathalie pleure, ce ne sont pas des crises de larmes soutenues par des concerts de piano et de violons. Elle craque simplement quelques instants, allongée dans son lit, en serrant son chat pour se réconforter. Bref tout est désarmant de naturel dans ce film, et c'est ce qui fait sa force.


La grande trouvaille du film, c'est qu'il donne à voir une femme qui se retrouve seule face au vertige de sa liberté retrouvée. Nathalie est une prof de philo d'environ 50 ans (je ne me souviens pas d'avoir entendu son âge au cours du film). Elle mène une vie de bourgeoise heureuse. Puis un jour, ses enfants quittent le foyer familial, son mari l'abandonne pour une autre femme, sa mère décède (on comprend que, malgré l'affliction, Nathalie vit le décès de sa mère comme une libération, cette mère que toute l'exposition du film nous présente comme une femme névrosée, pesante, envahissante qui sollicite sans cesse sa fille pour ne pas se retrouver seule). Voilà donc Nathalie, une femme d'âge mûr, seule et enfin libre. C'est là tout le propos du film, tout l'enjeu : qu'est-ce que Nathalie va faire de cette liberté retrouvée ? La réponse est dans l'exposition.
Nathalie est une femme bourgeoise conservatrice (elle insiste elle-même sur cet aspect : si elle a bien eu un passé de révolutionnaire exaltée, elle mène maintenant une existence éminemment rangée et sans surprise). Elle ne va donc rien faire. Tout changer pour que rien ne change. S'il est clair qu'elle ressent de l'amour pour son ancien élève Fabien, un amour qui va au-delà de la simple affection maternelle (ce sentiment ne semble toutefois pas vraiment partagé par le jeune Fabien, à mon sens), elle ne va pas rien tenter. Nathalie est une femme bourgeoise conservatrice : même si le spectateur aimerait la voir se jeter dans les bras de son ancien élève, tout plaquer pour le rejoindre dans le Vercors et vivre une relation passionée, il est évident que ça ne cadrerait pas avec le personnage. Elle-même se définit comme "trop vieille".


La force du personnage de Nathalie est qu'elle ne se lamente pas durant tout le film sur sa situation. Elle tente d'aller de l'avant. Petit paradoxe : Nathalie prend des décisions impulsives (elle décide d'aller dans le Vercors, elle décide de récupérer ses affaires de la maison de Bretagne, elle finit par se séparer de son chat sur un coup de tête) mais elle semble aussi parfois velléitaire (elle met du temps à quitter la résidence du Vercors alors qu'elle ne s'y plait manifestement pas, elle semble aussi un peu hésiter à vraiment abandonner son chat).

En fin de compte, tous les personnages semblent se réinventer, aller de l'avant : sa fille accouche, son mari refait sa vie (scène assez amusante où Nathalie qui rentre en bus de l'enterrement de sa mère le surprend en train de marcher dans la rue au bras d'une jeune femme), le jeune Fabien a quitté Paris pour le Vercors où il se consacre à ses projets philosophiques. Nathalie, elle, incarne le conservatisme. A la fin du film, le statuquo est préservé : pas de grande révolution, pas d'histoire d'amour passionée avec Fabien. On imagine aisément qu'elle reprendra son boulot de prof et vivra tranquillement le reste de ses jours en femme célibataire dans le confort de son appartement parisien.


La référence à l'avenir est d'ailleurs omniprésente : dans les jeunes qui protestent contre la réforme des retraites (le film se déroule sous le mandat du Président Sarkozy), dans le gauchiste libertaire Fabien et ses jeunes amis qui rêvent de révolution, dans le bébé à la fin du film. La fin du film, c'est d'ailleurs Nathalie qui berce son petit-fils : Nathalie, confrontée à l'avenir.
Dans un travelling arrière et sur la musique "Unchained melody" (la musique de Ghost), le film prend congé de ses personnages.


Evidemment on reste dans un univers de bourgeois : le jeune bobo normalien gauchiste échevelé insupportable, la prof bourgeoise dans son appart parisien qui dirige une collection de manuels de philo,...
Malgré cela, j'ai beaucoup aimé cette tranche de vie, ce film qui nous montre une femme bourgeoise conservatrice (Isabelle Huppert, désarmante de naturel et touchante quand elle pleure) qui se retrouve à 50 ans seule face à sa liberté retrouvée, qui cherche à rebondir mais qui se trouve incapable de se réinventer et de faire table rase alors que tout le monde dans son entourage semble évoluer et aller de l'avant

Bastien71
3
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le 25 févr. 2021

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Bastien71

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