Joseph L. Mankiewicz est l’un des grands réalisateurs du milieu du XXe siècle. Sa filmographie prolifique regorge de films de grande qualité comme le grand classique Cléopâtre (1963), le puissant Eve (1950), ou encore le très fin Le Limier (1972), son dernier long-métrage, pour ne citer qu’eux. Le film dont il est question ici est antérieur à tous ceux-ci, nous projetant à la fin des années quarante, l’époque de certaines des plus grandes romances de l’histoire du cinéma, dont fait probablement partie L’Aventure de Mme Muir.
Mme Muir est une jeune mère, récemment touchée par le décès de son mari, dont nous ne saurons pratiquement rien. Jeune veuve, elle est désireuse de s’éloigner de la ville, de se ressourcer près de la mer, et jette son dévolu sur une bâtisse connue pour être hantée. Malgré les réticences de l’agent immobilier, elle suit son cœur et prend possession des lieux, où les rumeurs prennent rapidement vie sous ses yeux, puisque le fantôme du défunt capitaine autrefois propriétaire de la demeure apparaît devant elle. Se crée alors une relation mêlant amitié, peur, admiration, timidité, culot, passion et amour. Tout à fait platonique, cette relation est à l’image de la désincarnation du capitaine, visible mais appartenant pourtant à un autre monde, mettant en exergue l’impossibilité pour cette relation de fructifier sainement.
L’Aventure de Mme Muir racontre trois amours différents. Le premier est l’amour perdu, l’amour endeuillé par la mort de l’autre, celle du mari. Le second est l’amour impossible mais passionné, entre Mme Muir et le fantôme du capitaine, figure masculine par excellence, homme rude et rustre, mais en même temps rassurant et bienveillant, figure à la fois paternelle et protectrice. Le troisième est l’amour spontané mais fugace, avec l’écrivain, celui qui se présente par hasard, fruit de la séduction, d’émotions aussi soudaines qu’inexpliquées. Le film s’avère finalement quelque peu pessimiste, mettant en avant la volonté sempiternelle et désespérée de l’héroïne de courir après des amours impossible, la condamnant à la solitude inéluctable et à être la cible des affres du temps.
Mais ce pessimisme ne semble jamais fatal ni étouffant, celui-ci étant adouci par la poésie et la mélancolie délicate qui habite tout le film. Son écriture soignée, ses dialogues élégants et parfois percutants en font une véritable romance dramatique fascinante et magique. La candeur et la douceur de Gene Tierney, déjà envoûtante dans Laura, quelques années auparavant, contraste avec le charisme de Rex Harrison, capitaine imposant, fort de caractère mais somme toute gentleman. Mais ce mélange crée une alchimie romantique très puissante.
L’Aventure de Mme Muir est un film d’époque, élégant, beau, poétique, dramatique, et très fin. Évitant tout risque de sombrer dans la mièvrerie, il joue avec finesse sur la perception du spectateur des relations entre les personnages et lui permet également de se projeter face à toutes ces situations, lesquelles, somme toute, sont représentatives de ce que peut être l’amour dans sa globalité.