Syllogisme et synthèse, les menaces de l'Histoire
Mise en scène d’une dictature croissante, de ses victimes et de ses bourreaux modernes, L’Aveu de Costa-Gavras est le devoir de mémoire qui manquait aux pays de l’ex-URSS. Bien plus qu’un pamphlet sur l’Armée Rouge, le régime de Staline et ses horreurs, ce film dresse le portrait de ceux qui, tout en discrétion, permettent l’évolution de régimes totalitaires. Ces hommes qui tantôt chef des unités de la Gestapo, tantôt secrétaire général du parti communiste, se rangent toujours du côté du pouvoir, de la facilité et de la trahison pour peu que l’oreiller soit en plumes.
La force de ce film, c’est de nous faire oublier parfois qu’il en est un. Les images fortes, les interprétations sans faille d’Yves Montand, de Simone Signoret et de Michel Vitold, la mise en scène confinant toute source de lumière et d’espoir, et la musique, unique, comme le refrain d’un destin fatal, sont les preuves d’une grande maîtrise cinématographique mais surtout d’un désir primordial de mettre le sujet au premier plan. Sans jamais tomber dans un schéma simplifié de l’ordre politique raconté, Costa-Gavras réalise un constat clair d’une situation pourtant complexe et très nuancée. Entre communistes, trotskistes, impérialistes et autres, les définitions se confondent, les dirigeants manipulent les sens pour qu’enfin la population elle-même ne croient plus qu’en leurs idéaux, parce qu’après tout, ce sont bien les seuls à comprendre quelque chose.
Les valeurs du communisme sont bafouées, faisant de cet idéal un couperet à toutes les libertés d’expression et d’opinion. Et c’est à force de mensonges, de dissimulations mais surtout de doutes semés que les prestataires du Stalinisme parviennent à endoctriner les populations. Leur arme fatale : le langage.
Des précédentes dictatures, les dirigeants de l’Union Soviétique ont appris à ne plus user de pratiques précipitées et radicales pour éliminer l’opposant. C’est donc par de long processus et des discours rédigés au mot près qu’ils ont pris la main, et avec l’accord du peuple. La stratégie : créer des preuves irréfutables de la bonté du gouvernement face aux lourdes menaces des espions, anciens nazis, ou autre ennemi du régime de Staline. L’aveu accolé d’une signature devient par conséquent le meilleur outil de cette stratégie et le plus dur reste alors de le faire adhérer par l’accusé. Torture physique et morale, tout est bon pour les faire parler, pour le faire dire « Pour ses contacts, Noël Field m’a remis la somme de 800 francs suisse » lorsqu’il n’a eu de contact avec lui que pour soigner les anciens déportés. Mais puisque « vous avez été en contact avec N. Field », et que « N. Field est un espion Américain », alors vous êtes évidemment et par la plus grande logique, allié avec les forces américaines contre l’URSS. Qu’il ne soit pas encore un espion lors de votre rencontre est un détail qui devra être omis pour la bonne filiation du procès. C’est, de toute façon, en collaborant avec le parti que vous montrerez que vous êtes un bon communiste.
Une logique infaillible donc pour qu’à l’issue du procès, les 24 accusés innocents acceptent sans piper mot leur peine de mort bien méritée.
Apprécier les images fortes et belles du film, les mémoires d’un homme loyal, et apprendre de nos erreurs, s’en souvenir et lutter toujours pour notre liberté, voilà notre tâche de spectateur, pour que cet Aveu soit le seul dans l’histoire du cinéma.