Du Général ougandais Idi Amin Dada au moine birman Wirathu, en passant par l'avocat Jacques Vergès - les trois personnalités auxquelles Barbet Schroeder a consacré sa "Trilogie du mal" -, le réalisateur d'origine allemande aime à s'approcher de figures sulfureuses. Sulfureuses par leurs actes, engagements, positionnements, leur caractère contradictoire ou, peut-être pire encore, insaisissable, insituable, irréductible à ces cases étroites dans lesquelles nombre de petits esprits se plaisent à tasser les êtres.


C'est ce dernier trait qui s'illustre et se déploie superbement ici. Par les causes si diverses qu'il a défendues, les relations contradictoires qu'il a entretenues, par les silences qu'il se plaît à conserver sur certains points, celui qui clamait hautement qu'il aurait aimé défendre "le Diable lui-même" ne saurait se voir cantonné à un camp, un bord quelconque, à la lisibilité rassurante d'une trajectoire militante.


Visiblement désireux, initialement, de traquer le personnage, de le pousser dans des retranchements, le cinéaste infléchit ses questionnaires, mouchète ses pointes inquisitrices et, séduit, laisse parfois l'objet de son examen prendre la direction des opérations, guider le cours d'une conversation. Prend ainsi forme un documentaire passionnant, fascinant, imprévisible, plus romanesque que bien des fictions, et pétillant d'intelligence, cavalcadant loin des sentiers battus.


La France est éprise de liberté, au point d'en avoir porté le nom au fronton de sa République. On voit ici s'exercer, durant les deux heures et quart du film, une souveraine liberté, s'ébattant en pays d'intelligence, et qui, par son audace, plonge dans un état durablement jubilatoire.


Des années après la vision du film, persiste une réplique mémorable, pourtant dégainée hors-plaidoirie. Durant son éclipse volontaire de plusieurs années, Vergès s'est vu contraint de regagner Paris, pour un bref séjour incognito. Dans le hall de l'hôtel où il séjourne, le brillant homme, au discours si châtié et maîtrisé, tombe nez à nez avec l'épouse d'un proche ami. Comment invalider le propos de cette femme, assurant qu'elle a rencontré l'avocat dans l'hôtel X ? Traqué, acculé, comme un animal qui se couperait la patte pour se dégager d'un piège, le démasqué se grime de vulgarité : "Alors, la grosse, ça boume ?!"...

AnneSchneider
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le 16 juin 2017

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Anne Schneider

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