Orphelinat hanté, enfance en prise avec la guerre d’Espagne : un certain nombre de thématiques sont communes entre L’Echine du diable et Le Labyrinthe de Pan cinq ans plus tard, à ce jour le film le plus réussi de Guillermo del Toro. On retrouve cette volonté de faire cohabiter l’innocence avec l’injustice et la violence à grande échelle, dans une atmosphère inspirée du folklore gothique. Sur le plan esthétique, le film, surtout dans son exposition, tient la plupart de ses promesses : une belle exploitation du décor (soubassements, minéralité dominante, clairs-obscurs des nuits blanches dans le dortoir), une exposition du monde cruel des enfants orphelins avec tous les rites initiatiques qu’il suppose (Del Toro affirme s’être inspiré de l’internat d’Au revoir les enfants, et on en retrouve effectivement quelques traces dans l’absence de naïveté mièvre chez ses protagonistes) et quelques apparitions fantomatiques bien senties. Le travail sur la lumière, isolant souvent les visages au sein d’espaces trop grand, ou jouant sur la balance de point pour matérialiser une présence invisible, sont tout à fait convaincants et présagent d’un récit fantastique de haute tenue.


La galerie de personnages qui se greffe sur l’arrivée du nouveau venu ne manque pas d’ambition, l’intrigue se partageant sur trois générations, entre un docteur poète, une directrice unijambiste en mal d’amour, un homme à tout faire au passé trouble, une bande de gamins qui va se faire sa propre quête et la guerre civile qui gronde aux alentours… même l’échine du diable en question appartient à ce genre de sous-développement dont on peut questionner l’intérêt. Alors que le rythme initial laisse le temps à une véritable atmosphère de se mettre en place, propice à l’esthétique des lieux hantés et de la matérialisation progressive du spectre, le récit finit par s’emballer dans les directions trop multiples qu’il a initiées.


L’ensemble manque cruellement de maturité, et sacrifie à une imagerie qui, étonnamment, reste finalement très enfantine, alors qu’elle semblait précisément vouloir jouer des contrastes. Le méchant l’est de plus en plus, comme pour satisfaire définitivement les désirs de vengeance qu’on va tirer au forceps chez le spectateur (et à coups de pieux pour les gamins), et le scénario tente laborieusement de tisser toutes les destinées dans des explosions, des chasses au trésor et des vengeances au long cours.


Dans tout cette profusion, le fantôme fait, dans tous les sens du terme, pâle figure, et semble réduit à une béquille narrative associée à quelques innovations visuelles lui permettant de saigner à l’air libre. Un symbole assez patent du manque d’épaisseur de toute cette histoire vainement nébuleuse.

Sergent_Pepper
5
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Fantastique et Vu en 2021

Créée

le 10 mai 2021

Critique lue 1K fois

20 j'aime

Sergent_Pepper

Écrit par

Critique lue 1K fois

20

D'autres avis sur L'Échine du diable

L'Échine du diable
Plume231
7

Le Pensionnat des enfants perdus !

Je n'ai pas vu un grand nombre de films de Guillermo del Toro, mais suffisamment pour savoir qu'il aime les lieux clos (ici un pensionnat pour orphelins !), qu'il ne rechigne pas à choisir comme...

le 24 mars 2021

30 j'aime

7

L'Échine du diable
DivinecomdiedeDante
9

Le mal n'est jamais là où on pense...

Guillermo Del Toro livre ici un subtil conte de terreur avec ce métrage emplie de suspens psychologique. Le film est profondément ancré dans l'histoire espagnole; ainsi, l'action se situe dans une...

le 30 oct. 2014

28 j'aime

L'Échine du diable
Sergent_Pepper
5

Ghost in the hell

Orphelinat hanté, enfance en prise avec la guerre d’Espagne : un certain nombre de thématiques sont communes entre L’Echine du diable et Le Labyrinthe de Pan cinq ans plus tard, à ce jour le film le...

le 10 mai 2021

20 j'aime

Du même critique

Lucy
Sergent_Pepper
1

Les arcanes du blockbuster, chapitre 12.

Cantine d’EuropaCorp, dans la file le long du buffet à volonté. Et donc, il prend sa bagnole, se venge et les descend tous. - D’accord, Luc. Je lance la production. On a de toute façon l’accord...

le 6 déc. 2014

774 j'aime

107

Once Upon a Time... in Hollywood
Sergent_Pepper
9

To leave and try in L.A.

Il y a là un savoureux paradoxe : le film le plus attendu de l’année, pierre angulaire de la production 2019 et climax du dernier Festival de Cannes, est un chant nostalgique d’une singulière...

le 14 août 2019

715 j'aime

55

Her
Sergent_Pepper
8

Vestiges de l’amour

La lumière qui baigne la majorité des plans de Her est rassurante. Les intérieurs sont clairs, les dégagements spacieux. Les écrans vastes et discrets, intégrés dans un mobilier pastel. Plus de...

le 30 mars 2014

618 j'aime

53