L’échiquier du vent (Shatranj-e Baad),
Ce 1er long métrage iranien de Mohammad Reza Aslani, jusqu’alors inédit, sorti en 1976, puis très vite censuré par la République islamique iranienne, est distribué en salle, dans une version restaurée par la fondation Cineteca di Bologna (après avoir été récupéré par le cinéaste lui-même dans des conditions rocambolesques).
Il s’agit d’un huis-clos familial inspiré du milieu aristocratique Iranien du début du XXe, que l’auteur retient comme symbole de la fin de règne dynastique Quadjar avec une trame narrative empruntée à celle de Visconti dans le Guépard, ciblant les distinctions de classes sociales au décours de l’ère industrielle naissante.
Le point de vue de l’auteur (diplômé d’Art plastique, de l’École national du cinéma), sera animé par la quête d’un renouveau dans l’art, privilégiant une approche expérimentale, ce qui expliquera la mise à l’index du film dans son propre pays mais aussi de ses autres œuvres.
Le scénario est centré autour d’un conflit de succession, où se démène une jeune héritière riche, et lettrée mais clouée en fauteuil roulant (soit dit en passant, en osier et dont la forme originale fut dessinée par le cinéaste lui-même). La jeune fille devenue orpheline, surnommée ‘petite dame’, craindra la convoitise de son beau-père, Haji Amou, commerçant de profil traditionnaliste, véreux et sans scrupules, et de ses deux neveux, pas moins concupiscents.
Résumer ce film tout à fait hors norme et de culture entremêlée, requiert une prise en compte de l’histoire Iranienne, sous l’angle religieux (le générique s’ouvre sur une sourate coranique), socio politique, mais aussi sous la dimension du genre, l’oppression des hommes vis-à-vis des femmes, notamment éduquées, ce qui dans le film est synonyme de relégation.
Sur un plan esthétique, il y aura énormément à dire, la richesse ornementale et artistique, de la maison bourgeoise, lieu unique de l'intrigue, qui est proprement habité par le cinéaste, les références au théâtre antique, la musique à valence contemporaine de Sheyda Gharachedaghi
Une superbe photographie, éminemment picturale, le film s’ouvrant ainsi sur un tableau, les Notaires de M. K. M. Ol Schoara, puis défilant comme une suite de peintures ou de saynètes.
L’on sera saisi de cette dominance de clair-obscur, de noir et rouge, de jeux de miroirs et de bougies démultipliées, allumées sous le virevoltant ballet de la servante (fée ambigue, séductrice multi genre, y compris machiavelique).
Aslani construit au fur à mesure une ambiance complexe et déconcertante d’irréalisme dont les codes sont très maitrisés. Les couloirs labyrinthiques, les escaliers grand siècle, le luxueux mobilier suscitant une ténébreuse beauté, en contre point de la laideur outrée des protagonistes.
La musique sera un élément puissant, mêlant contemporain ou free jazz, alternant avec de nombreux passages rythmiques ou métronomiques contribuant à accroitre la tension avant l’issue criminelle que l’on pressent.
L’auteur usera de nombreux rebondissements, fondé sur un étayage historiographique bien détaillé par l’opus écrit par la fille du réalisateur, Gita Aslani Shahrestani (édition Carlotta).
Il convoquera aussi les codes du thriller familial, ou de certains romans noirs, où l’on devinera Clouzot, l’ensemble de l’œuvre suscitant d’autres références évidentes (Bunuel, Bresson, …), l’usage de plans fixes, larges puis de travelling circulaires ou ciblés contribuant à un enfermement macabre, et à une angoisse digne de certains maîtres du genre (Carpenter ou Romero).
Voici une ancienne perle rare très attendue du cinéma Iranien.