Paris, 1927. Essayez d’imaginer cette époque sous cet aspect patiné avec ses pierres grisées par le temps. Essayez d’imaginer des hauts murs lisses, que seuls d’imposants contreforts viennent orner, en complément d’un immense portail à travers lequel nul ne peut voir. Essayez d’imaginer les lingeailles taillées plus ou moins grossièrement dans la toile épaisse, ce type même de matière un peu raide que les gens pas ou peu aisés affectionnaient non pas pour leur confort mais pour leur solidité et leur durabilité. Ce genre d’affaires en total contraste avec les strass et paillettes des tenues plus souples arrivées avec le Charleston. Vous avez du mal à imaginer ? A votre décharge, il est vrai que l’époque est lointaine, et bon nombre de spectateurs d’aujourd’hui ne l’ont pas connue. Oui eh bien, ne vous en faites pas, il vous suffit de vous mettre devant le film et… d’ouvrir les yeux. Vous ne le regretterez pas.
D’abord vous vous retrouverez devant les hauts murs austères d’un orphelinat, dans un vieux Paris alors dans son jus. Puis vous serez invités à y pénétrer, sous l’œil à la fois bienveillant et sévère du directeur. Ainsi vous subirez un premier choc, celui des progrès faits en matière d’aménagement depuis cette époque, notamment avec cette rampe de robinets qui sépare les lits grinçants du dortoir en deux lignes distinctes. Brrrr, ça ne donne pas envie d’y rester… Ça tombe bien, nous n’y restons pas.
Direction la Sologne ! Une des rares régions de France qui a été préservée de la course effrénée vers le modernisme à tout va. A travers la vitre du train, vous entrapercevrez le château de Chambord et son architecture si particulière qui le rend unique au monde, inimitable et parfaitement reconnaissable entre mille. C’est dans cette belle contrée restée sauvage qu’est la Sologne que les valises vont être posées. Assurément, cela va être dépaysant pour plus d’un. Comme ça l’est pour le jeune Paul.
Jean Scandel, son interprète, joue à merveille la transformation du changement d’univers. D’abord un air récalcitrant, buté et fermé, à tel point que le rictus de la renfrognerie semble permanente. Puis ensuite les traits se détendent, et ce visage s’illumine devant les lapins pourtant enfermés dans des cages entassées dans la cour d’un corps de ferme, dépendance directe d’un manoir habité par un comte décrit comme peu sociable et pas commode. Oui eh bien il n’est pas au bout de ses surprises, le petit gars… jusque dans son assiette ! La résignation qui habite le petit Paul disparait peu à peu au gré des discussions pleines d’attention avec la femme qui l’a recueilli, Célestine (magnifique Valérie Karsenti). Ainsi, malgré le dédain du mari de Célestine, à savoir le garde-chasse Borel (joué par Eric Elmosnino dans le même registre que "La famille Bélier", c’est-à-dire aigri, têtu, mais qu’on n’arrive pas à détester car on sent au fond que ce n’est pas un mauvais bougre), Paul a tout le loisir de découvrir ce nouvel environnement qui lui est offert. Et c’est avec lui que nous allons découvrir cette immense forêt où les chênes centenaires voire bicentenaires se côtoient, et dans laquelle il nous sera permis d’apercevoir la faune.
Pour ce faire, Nicolas Vanier se sert de sa grande expérience d'explorateur : pour ne citer qu’eux, biches, cerfs, sangliers, rouges-gorges, fauvettes, canards, hérons et renards circulent librement et en toute impunité au beau milieu des différentes essences devant la caméra patiente et toujours bien placée du cinéaste qui fait de ces animaux des personnages à part entière. Des images rares mais de belles images, servies par les rayons fantasmagoriques du soleil et par la brume qui entoure de mystères cette forêt et ses étangs. Un lieu féérique, peuplé d’une faune riche et diversifiée dont le mode de vie est perceptible à condition de savoir l’écouter.
L’apprentissage du jeune garçon ne s’arrête pas à sa seule observation. Sa découverte, (ou son aventure, comme vous voudrez) va se développer grâce à sa rencontre avec Totoche, un insaisissable braconnier joué par un superbe François Cluzet à qui la barbe va si bien (on en a eu déjà un aperçu dans son habit de marin dans "En solitaire"). Seulement voilà : ce dernier est poursuivi sans relâche par le garde-chasse, ce qui nous donne un vrai jeu du chat et de la souris, amenant ainsi des situations cocasses parmi lesquelles Elmosnino nous fait rire par ses balbutiements quand il voit les traces de son objectif partir dans deux sens opposés sous l’œil amusé de Laurent Gerra en gendarme et de son binôme.
Mais "L’école buissonnière" ne se résume pas à la découverte de la Sologne et de ses célèbres chasses à courre. Le spectateur doit reconnaitre la beauté de ce type de chasse ancestral, bien que le combat soit irrégulier et particulièrement stressant pour le gibier traqué. Cela dit, ça se fait dans le respect de la nature, bien que je déplore que la préparation de ce type de chasse n’ait pas été plus développée. Dans tous les cas, si ça ne se résumait qu’à la découverte de cette région qui s’étend sur près de 5 000 km², c’eût été trop léger pour une fiction. Non, ce film parle aussi des vraies valeurs de la vie, des valeurs qui se perdent de plus en plus au fur et à mesure que les années passent. Et pour ce faire, il présente divers thèmes, distillés sur des dialogues très bien écrits, quelquefois parsemés de mots tombés dans les oubliettes : la quête d’identité pour Paul dont on comprend assez rapidement qui il est
(en ce qui me concerne, quand il a mis la main sur une lettre cachée),
et le poids des non-dits. Il n’est pas toujours facile de dire les choses, et c’est très bien expliqué par la touchante Valérie Karsenti dans la peau de cette Célestine qui elle aussi a ses secrets
en jouant entre autres un rôle dans l’opposition amusante que se livrent le garde-chasse et le braconnier
Mais il y a aussi ce fameux comte, joué par un François Berléand toujours aussi excellent. Certes il n’a pas le plus beau rôle, cependant il n’a pas le plus simple non plus. Il interprète à merveille la grande solitude d’un homme rongé par un épouvantable regret auquel il ne peut remédier. Pour autant, il amène aussi des scènes résolument poignantes, par l’intermédiaire du grand cerf que Nicolas Vanier a eu le tact de remercier dans le générique de fin.
Aaaah ce grand cerf… on tremble pour lui, même si son intelligence force l’admiration du spectateur. Mais qu’est-ce qu’il est beau ! Quelle majestuosité ! C’est magnifique. Son titre de "roi de la forêt" n’est pas volé, notamment lorsque la période de rut est amorcée. Le brame fait vibrer toute la forêt qui semble s’endormir doucement mais sûrement sous les couleurs mordorées encore timides de l’automne naissant et semble figer tout le reste de la faune dans un silence alors réservé uniquement aux cris amoureux des cerfs.
Avec ce grand cerf, en parallèle de la révélation de la véritable identité du jeune Paul, on pense arriver à la fin. Que nenni ! Le scénario rebondit encore une fois pour repartir de plus belle, avec le fils du Comte en mal de reconnaissance (et d’amour ?). Joué par Thomas Durand, il a vraiment la gueule de l’emploi et revêt avec brio le personnage le plus détestable.
Et l’air de rien, nous arrivons à une durée de 116 minutes. En somme, "L’école buissonnière" est un long métrage qui fait du bien. Porté par une photographie éblouissante et une superbe musique signée Armand Amar qui colle encore une fois parfaitement au film, le spectateur ressort émerveillé par les belles images de ce solognot de cœur et d’origine, lesquelles se poursuivent durant une bonne partie du générique de fin. Emerveillé et… apaisé. Oui, apaisé. Une première pour un scénario au fond plus ou moins déjà vu, mais qui entremêle à la perfection différents thèmes pour rappeler les bienfaits de la vie en communauté, de la communion avec la nature et du partage, aujourd’hui supplantés par les besoins créés de toute pièce. Nicolas Vanier prouve ici qu’on peut vivre avec ce que la nature nous prodigue, à condition de la respecter et de ne prendre que ce dont on a besoin. Et comme pour vous prouver que cela est encore possible, il y a fort à parier que vous ressentiez le besoin d’aller vous promener en forêt. C’est le lot des œuvres authentiques comme celle-là.
Authentique : c’est ce qui caractérise ce film, jusqu’à ce marché qui fleure bon l’époque, un lieu où les gens prenaient le temps d’échanger quelques mots. Un retour vers le passé de 90 ans en arrière convaincant, jusque dans les tombes éparses de ce cimetière aujourd’hui d’un autre temps (quoique j’ai un gros doute sur la tombe en marbre ou en granit au loin dans l’arrière-plan qui, je trouve, fait un peu tâche malgré le flou qui lui a été donné). Un charme suranné qui hume bon grâce aussi aux personnages secondaires, ces personnages de la France profonde comme ce Dédé (Frédéric Saurel), ce gars du terroir indécrottablement attaché à sa bérouett’ et résolument attachant.
Parsemé de quelques séquences contemplatives sans aucun dialogue et accompagnées seulement des belles notes d’Armand Amar, "L’école buissonnière" est un film absolument à voir car il offre deux heures d’évasion, deux heures de rêve, deux heures de réflexion sur les choses essentielles, et du vrai et beau spectacle sans effets spéciaux quelconques.