Sous ses airs de naïve comédie pour adolescents, l'Ecole du bien et du mal nous offre en réalité une véritable réflexion sur le manichéisme à l'ère du néo-libéralisme décomplexé. Nos deux protagonistes, Sabrina et Jennifer Lawrence, ""meilleures amies""", se retrouvent propulsées à l'Ecole du bien et du mal. Derrière son concept clivant, l'école va se révéler être une métaphore filée avec grande justesse du système patriarcal, et dénoncer la zizanie semée par le libéralisme au sein des luttes progressistes.
Sabrina l'apprentie sorcière est assignée à l'Ecole du Mal, ou peut-être devrais-je dire du mâle... ? Jeune première naïve et pleine d'ambition, elle se laisse corrompre par Rafal, aka Mopheus, homme à poste de pouvoir et plus âgé qu'elle. Morpheus représente à n'en pas douter les dynamiques hétéro patriarcales poussant les jeunes filles à chercher la validation et l'amour perverti des hommes plus âgés en mal de domination virile. Sabrina va, sous son regard, découvrir son énergie sexuelle (avec la complicité de Lesso, jouée par Charlize Theron, qui l'initie au BDSM) et libérer son sex appeal. Elle va toutefois découvrir que le regard des hommes corromps toujours, et que son amour (platonique bien sûr) pour son amie Jennifer est le seul qui durera à jamais et la rendra heureuse pour toujours.
Jennifer est ce que les plus rageux appeleront une "woke" qui lutte contre son hétérosexualité compulsive afin de détourner Sabrina des dangers de la sexualisation et du regard masculin. Jennifer comprend la complexité du monde et ne se laisse pas abuser par celles et ceux qui tentent de lui faire croire que le monde est noir ou blanc, et qu'il faut choisir un camp. Elle conçoit la complexité narrative de chaque être humain, et appelle très clairement à abolir le genre. Bien qu'elle n'en soit qu'à ses premiers pas dans le militantisme, et qu'il lui reste encore bien du chemin à parcourir, il n'est pas difficile de voir en Jennifer une féministe radicale en puissance.
Les personnages masculins secondaires offrent un éventail passionnant qui permet de questionner la nature même de la virilité et les injonctions qui pèsent sur les hommes, ainsi que leurs privilèges. Le plus flagrant est bien sûr le cas de Gregor, jeune homme doux et un peu fragile qui ne répond pas aux exigences de son genre : faible, il a peur du sang, ne sait pas manier l'épée ni monter à cheval. Très rapidement, Gregor, pourtant empathique et plein de qualités, se retrouve littéralement broyé par le système, à l'instar de tous les jeunes gens qui échouent à l'école du Bien. Avec ce personnage, le film met en exergue l'absurdité des injonctions genrées dans un système normé qui ne permet aucun écart.
Le plus intéressant dans ce long métrage est sans conteste la dualité entre le Bien et le Mal. Le Bien nous présente des personnages lisses, propres sur eux et vaniteux, mais plein de bonnes manières. Ils représentent la bourgeoisie qui étouffe la lutte des classes en prétendant agir pour le bien commun. On pourrait presque penser que Netflix fait là son auto-critique. Le Mal, lui, est constitué de personnages abimés et repoussants, parfois certes frontalement violents, mais le sont-ils vraiment davantage que le machiavélisme du "bien" ...? Le camp du mal est un appel à la révolution, reprenant sans concession une esthétique punk. En questionnant frontalement l'inversion des valeurs propre à notre époque, Paul Feig nous propose là une critique dans un film qu'on pourrait quasiment rattacher au mouvement du réalisme social.