L'Écume des jours par Filmosaure
Il faut avoir lu l’oeuvre de Boris Vian pour pleinement apprécier l’ampleur du talent de Michel Gondry lorsqu’il se lance dans l’adaptation de l’Écume des jours. De même, impossible de se lancer dans cette critique sans quelques mots sur le livre qui a enchanté de nombreuses adolescences depuis 1947. Des néologismes et des rêves de Vian jaillit un univers riche en émotions, qui peut se montrer aussi innocent ou cruel qu’un regard d’enfant.
Michel Gondry a lu ce roman dès ses plus jeunes années et cela se ressent dans son film, véritable déchaînement d’idées qui jaillissent sans se lasser dès les premières images. Il y va même régulièrement de sa patte personnelle, allant encore plus loin que Vian dans ses concepts. Il fait appel à notre enfance, à grand renfort de fraises tagada, de petits FOURS ou de folies spontanées où l’on tape des couverts et on saute sur les lits pour obtenir ce que l’on veut. Il “ré-humanise” ce qui peut l’être, du temps qui passe au moteur de recherche. Quelques détails peuvent ne pas correspondre à notre interprétation personnelle de l’oeuvre (j’ai été, pour ma part, un peu déçue par le nuage), mais dans l’ensemble, L’écume des jours est une petite merveille visuelle dont la première partie est un concentré de bonheur enfantin, “à l’abri de la famille et du travail”.
A l’instar de son travail dans La science des rêves, les effets spéciaux choisis par Gondry sont une extension directe de cet univers enfantin. Les CGI sont boudés au profit d’une atmosphère “carton-pâte” pleine de charme, approximative et imparfaite, mais extrêmement fluide, qui se démarque de la masse. Les plus nostalgiques se rappelleront L’île aux enfants, à l’époque où les effets spéciaux dans les émissions pour enfants étaient encore réalisés en stop-motion, assumant le côté poétique du roman dans lequel on ignore si les éléments sont réels ou finalement imaginés par les personnages. Un BO fabuleuse, issue tout droit des inspirations New-Orleans du roman, complète l’enchantement.
Seul bémol, le choix des acteurs principaux qui aura déçu plus d’un(e) cinéphile : pourquoi s’être focalisé sur un couple de personnalités connues déjà bien trop vieilles pour le rôle ? Si Audrey Tautou peut encore faire illusion malgré ses 36 ans, elle manque de l’innocence parfaite nécessaire à l’élaboration du personnage de Chloé (et tousse très mal). Quant à Romain Duris, ce n’est juste pas possible ; il a beau sautiller de partout comme un jeune premier, on n’arrivera à camoufler le fait qu’il est bien loin des 21 ans de Colin, et pour cause… Au double de l’âge des personnages qu’ils sont censés incarner, les deux acteurs qui ne dégagent ensemble aucune sensualité s’en sortent qu’honorablement, mais l’on aurait préféré découvrir deux jeunes inconnus. Il en va de même, évidemment, avec Gad Elmaleh, pourtant étrangement bon dans le rôle de Chick. Seul, Omar Sy semblait taillé sur mesure pour le personnage de Nicolas.
Mais en dehors de ce casting qui n’altère en rien le travail extraordinaire du réalisateur, L’écume des jours est une réussite complète qui laisse, sinon en larmes, tout du moins extrêmement ému. A une première partie fraîche et émouvante, à laquelle faisaient écho de nombreux rires dans la salle, succède une descente aux enfers qui n’a rien à envier au rythme lancinant de Requiem for a dream dont elle semble parfois s’inspirer. La mise en scène de l’angoisse par Gondry, extrêmement efficace, est ponctuée de coups de génie, comme sa mise en abyme de l’écriture de Vian, représentative de l’inexorabilité du destin s’abattant sur les héros, ou son traitement de l’addiction de Chick à Jean-Sol Partre qui va bien plus loin que le roman. L’univers de L’écume des jours permet à Gondry de se lâcher complètement et de rendre certaines séquences plus drôles ou tragiques qu’avec une mise en scène classique.
Michel Gondry est un rêveur et L’écume des jours est une virée envoûtante sur les chemins de son extravagance. A découvrir et vivre pleinement, avec un coeur d’enfant et des peurs d’adulte.