Il existe des films qui reposent sur un socle social fragile, ce ciment bourgeois qui se vante de sa hauteur tout en évitant les lourdeurs des blockbusters. En France, on aime se pavaner dans les salons cinéphiles de ce cinéma qui prône un méta-mépris, mettant en avant des valeurs prétendument subversives tout en méprisant les codes d'expression populaires. À ce titre, on mettra en scène des gens simples mais dans un cinéma qui récuse , qui tourne au ridicule ce qui leur est constitutif, leur mode d'expression. On filmera des beaufs, et dans un niveaux d'abstraction de la critique on se félicitera de les mettre en lumière, pour railler leur populisme. En somme ce qu'il sont.
"L'Empire" de Bruno Dumont est l'exemple parfait de ce cinéma élitiste où la sophistication se mêle à l'ennui, prétendant aborder des thèmes profonds tout en restant dans le registre de la posture. Ce film s'adresse à ceux qui peinent à jouir du cinéma ; il ne crée son discours, sa mise en scène, et ses représentations que dans l'opposition aux films populaires. Il ne construit pas des personnages, mais préfère les laisser vivre ; l'histoire n'est pas une chaîne de conséquences, mais un enchaînement de trous, de respirations et de contemplations. Le résultat ? Tout manque de cohérence, d'engagement et d'enjeu.
Ne vous méprenez pas, cher lecteur, j'adore être surpris, surtout au cinéma. Les bizarreries sont ma tasse de thé, mais j'aime encore moins qu'on se casse la gueule devant moi en prétendant que c'est fait exprès. Mes rétines en ont vu d'autres.
L'Empire des Non-Sens
Le film se vend comme un "Star Wars chez les Ch'tis", mais n'attendez pas une épopée spatiale ou une bataille épique. Ici, la guerre se déroule dans les arcanes du discours et des déclarations, sans une once d'action. Tout l’enjeu manichéen repose sur des proclamations plutôt que sur des actes. Résultat ? Le camp du bien finit par causer plus de dégâts que le camp du mal. Bravo pour le message, mais ça fait mille ans qu'on se tape des récits manichéens où les gentils se révèlent être autant de salauds que les méchants dans les faits. J'aime l'idée anti-essentialiste, vraiment, mais la mise en scène est aussi excitante qu’un exposé sur la fiscalité médiévale.
Au départ, le décor est planté avec une certaine originalité : des enjeux interplanétaires dans le cadre d'un petit village en bord de mer, c'est plutôt amusant. Mais une fois cette situation posée, le film peine à évoluer. C'est comme un film de Quentin Dupieux : un super synopsis avec un développement médiocre. Un court-métrage réussi, mais 1h30 d'errance et de remplissage brouillon. La maladresse est évidente lorsque les actions sont filmées ex nihilo et ne débouchent sur rien.
Le Problème Majeur : L'Absence d'Engagement
Le réalisateur semble paralysé par sa propre conception du cinéma, une peur viscérale d'être trop direct, trop populaire, et donc trop vulgarisé. "L'Empire" s’enlise dans des situations où le bien et le mal jouent à cache-cache, chaque avancée étant aussitôt contrée, créant un cycle interminable de faux suspense. On est loin des vrais rebondissements, perçus comme trop vulgaires ou trop populaires. Au lieu de cela, on assiste à un vaudeville sur fond de mépris social où chaque scène tente de désamorcer la précédente.
Soyons clairs : j'exècre Marvel, leur vision d'un "cinéma produit" qui, voulant plaire à tous, se désengage continuellement avec des blagues. et je pense que le public visé par "L'Empire" est de cette même trempe. Le cinéma de Dumont est perçu comme un bouclier culturel anti-cinéma américain populaire, ce qui est surprenant, car ces deux genres partagent les mêmes caractéristiques de désengagement et de "comic relief". Par exemple, Avengers et "L'Empire" utilisent la même mécanique de "méta-dérision" : on sait que ce qu’on fait est ridicule et n’a de sens qu’au cinéma, donc on se désengage en proposant une rupture de ton qui rebat les cartes pour les 10 prochaines minutes.
Qu'est-ce qui différencie les films Marvel, nauséabonds dans leur désengagement, et les films de Dumont ? Rien, substantiellement. Les deux partagent la même vision d'exorcisation du mal à l'écran et le même manque d'engagement dans leurs réponses. Les deux font la même chose. Vous ne vous étiez pas posé la question ? Êtes-vous vraiment cinéphile ?
Le Pathos Pataud
La tentative de Dumont d’éviter le pathos et la vulgarité du divertissement populaire semble avoir échoué . On n’est pas dans le divertissement superficiel, mais les blagues sont de l’ordre du divertissement superficiel. Les grincements de beauf de Jony, notre héros, sont les principales répliques qui font mouche. C’est pas mal mais pas suffisant. Je ne serai pas l’homme qui vous condamnera moralement pour cela, car c'est juste une forme de mépris social. Oui, le public est là pour se moquer des accents des Ch'tis et railler leur posture maladroite. Je ne vous blâmerai pas parce que c'est mal, non, mais parce que c'est peu!
On peut en rire, mais cela ne fait pas un film intéressant, ça ne fait pas un bon film.
Si un joseph vient de se lever pour dire "mais qu'est ce qu'un bon film" frappez-le, faites le saigner cet enfoiré.
On oscille entre un film qui présente des problématiques sans les résoudre. Mais attendez, ne serait-ce pas le fond de commerce de notre philosophe national, Raphaël Enthoven, qui se bat contre ChatGPT ? Mais si ! Bruno Dumont ne serait-il pas le fils illégitime, le fruit de l’amour interdit entre Joss Whedon et Raphaël Enthoven, conçu une chaude soirée d'été devant la mer du Nord ? En substance, oui.
Le Cinéma du Bourgeois qui Se Fait des Blagues à Lui-Même
La conclusion ? On termine le film avec le sentiment d’avoir assisté à une dissertation inachevée d’un adolescent. L’héritage que laisse "L'Empire" est aussi flou que ses intentions : une fusion symbolique du bien et du mal qui ne change rien. Le spectateur se demande s'il a regardé un film ou si le film s’est regardé lui-même. Oui, phrase à méditer. "L'Empire" de Bruno Dumont se révèle être le film du bourgeois qui, en voulant éviter le piège du cinéma populaire, se retrouve enfermé dans une contradiction, puis, après mûres réflexions, se moque de cette contradiction, et, incapable de trouver une position dans la moquerie, se pose dans une posture désinvolte et déconstruite.
Le film prend tellement sa dérision au sérieux qu’il en oublie de nous offrir des enjeux réels et un engagement substantiel. On nous sert une contemplation esthétisante qui ressemble davantage à une longue séance de méditation sur la vacuité. C'est bien, mais pas suffisant.
Les moments de tension sont sabordés par des blagues maladroites, comme si le film essayait de faire passer une profonde réflexion sociale en égrenant des plaisanteries. C’est comme si, en se prenant trop au sérieux, "L'Empire" avait décidé de se dérober sous un manteau de cynisme et d’auto-parodie, mais sans jamais vraiment assumer ni l’un ni l’autre.
Je crois que le cinéma français a beaucoup à offrir, et je n'aime pas trop ceux qui affirment que ce cinéma est un trou à fric pour des productions médiocres. Mais le jour où quelqu'un me sortira "L'Empire" comme exemple avec son budget de 7 millions, j'aurai du mal à lui répondre : "Contre-Uno", déso les gars mais clairement le film sent à mort le CNC qui fait pleuvoir les boyards dans une salle des tigres.
Comprenez bien, le film n'est pas mauvais parce qu'il ne va nulle part ou parce qu'il n'est pas explicite ; il est mauvais parce qu'il ne tente rien. À la fin de "L'Empire", on réalise que le bien et le mal ne sont pas si différents après tout : c'est comme choisir entre un bon vin et un mauvais vin. J'apprécierai mes soirées mondaines avec cette petite bourgeoisie qui, n’ayant aucune culture générale, se complaira toujours dans l'appréciation de ces films. Nous arroserons cette foule de peine à jouir avec un mélange de grand cru- piquette, car après tout, mes chéris, peu importe la boisson pourvu qu'on ait l'ivresse, et peu importe le film pourvu qu'on ait l'hubris.
Mirmidon que vous êtes ! bande de p*te