« – J'arrive pas à y croire ! – C'est pour cela que tu échoues. »

Le contraste entre la réception exceptionnelle qu'a connu le Star Wars de 1977 et les doutes concernant son succès avant sa sortie nous dit déjà quelque chose sur l'oeuvre de Lucas. Notamment dans sa capacité à synthétiser brillamment l'inconscient collectif, donnant une impression de banalité, pour finalement s'y graver lui-même durablement. Star Wars ne parle pas, il résonne, et c'est visible dès le premier plan : "Il y a bien longtemps, dans une galaxie lointaine, très lointaine...". Dans la narration, regarder loin dans le temps et dans l'espace, c'est regarder loin à l'intérieur de soi, ici jusqu'à atteindre une forme de simplicité fondamentale qui a trompé tant de sceptiques du film. Star Wars paraîtrait presque trop simple, mais plutôt qu'une tare, c'est bien là la preuve de sa réussite dans ce qu'il tente d'accomplir.


Luke Skywalker a tout du personnage mythique (jusqu'à la fadeur un peu ennuyeuse), et par cette condition présente toutes les caractéristiques du spectateur, donnant à ce dernier un reflet sur lequel se projeter aisément. C'est particulièrement visible dans ce L'Empire Contre-Attaque, où Yoda n'hésite pas à mettre sous le nez de notre héros tous ses plus grands défauts, et parmi ceux-là le plus grand de tous : l'impatience. Celle du spectateur, donc, tout excité à l'idée de voir se dérouler devant lui toutes sortes de batailles plus épiques les unes que les autres, d'où il ressortira grand vainqueur et sauveur de ses amis, au détriment des plus méchants.


Quoi de plus logique pour nous, pauvres insignifiants effrayés par la mort que d'espérer un jour voir le Mal être éradiqué de la surface de la Terre, et ainsi de voir toutes les émotions liées au côté obscur de la Force (colère, peur, frustration...) disparaître de nos états intérieurs ? C'est bien sûr le raisonnement de notre preux mais naïf héros, qui par là commet la même erreur que nous qui le regardons. À ce titre, la scène de l'affrontement avec un Vador imaginaire dans les marécages de Dagobah (Luke coupe la tête de son ennemi pour se rendre compte que derrière le masque est son propre visage) est probablement le sommet de cette idée, l'apprenti Jedi échouant à comprendre qu'annihiler le Mal qui le ronge ne provoquera que sa propre perte. En prolongement de cette idée, le serpent que l'on aperçoit juste avant cette scène nous rappelle que la tentation d'Eve et d'Adam n'a pas tant été de vouloir faire le Mal, mais plutôt de s'octroyer le rôle de juge, oubliant ainsi leur propre capacité au Mal. Ce qui dans cette galaxie lointaine les aurait à coup sûr fait tomber du côté obscur de la Force.


La scène du marécage ne doit pas être vue comme un onirisme qui surgirait du film un peu subrepticement, mais plutôt comme un prolongement jusqu’au-boutiste (les lumières contrastées, le ralenti... à regretter que les valeurs de plan ne suivent pas cet expressionnisme) de l'onirisme qui imprègne l'intégralité du film. Du fait de cet onirisme, le Mal est ici représenté par l'image grâce à l'antagoniste Dark Vador et ses caractéristiques faisant résonner chez nous tout un spectre d'émotions rattachées à ce qui nous fait perdre en humanité. C'est d'abord bien sûr l'aspect robotique du personnage (la géniale trouvaille sonore de sa respiration, les machines qui semblent le constituer plus que le prolonger), son attachement à la hiérarchie (son sang-froid lorsqu'il punit ses subalternes, toute l'imagerie nazie), ou encore la déformation jusqu'à l'hideux de sa conscience prenant le visage de l'Empereur en hologramme, apparaissant et disparaissant pour dicter les actes sans autres explications. Le Mal est également représenté de manière plus conceptuelle et moins imagée, toujours à travers ce même personnage, notamment par sa manière d'aspirer par la tentation le faible afin de ne plus jamais lâcher prise. À l'image de Lando qui dira après avoir passé un marché avec Vador : "Ce marché devient de pire en pire". Ici, on ne fait pas le Mal, on se laisse aspirer par lui en partant de nos bonnes intentions.


Comme dit Yoda avec toute la sagesse qui le caractérise : "Prends garde au côté obscur. Colère, peur, agression… Le côté obscur de la Force ils sont, et facilement se répandent… Si une seule fois tu prends le chemin du côté obscur, pour toujours il contrôlera ta destinée. Te consumer, il voudra…"


Toujours dans l'optique de résonner chez le spectateur plutôt que de lui parler, et à l'instar de l'obscurité qui nous habite représenté dans l'image par le personnage de Dark Vador, les lieux dans lesquels prennent place l'action de ce L'Empire Contre-Attaque sont capables de nous dire quelque chose sur nous-même. Reflets du cheminement du personnage principal, ils délimitent à la fois par souci de clarté pour le spectateur les trois actes qui composent le film (et lui conférant ainsi un rythme imparable), mais nous imposent également le cheminement émotionnel à suivre pour nous amener à l'enseignement à tirer de l'oeuvre. Un enseignement basé sur la capacité de son spectateur à rêver, à voir son environnement comme froid et sans vie (la planète Hoth, où les rebelles ne peuvent faire grand chose d'autre qu'attendre), tandis que l'aventure est traitée comme un rêve nous emmenant à des hauteurs insoupçonnées (la Cité des Nuages, où l'on doit se rendre pour sauver ses amis et terrasser l'ennemi). Et entre les deux, Dagobah, la planète marécage où voler devient impossible (le vaisseau embourbé) et où l'on affronte la Mort pour pouvoir mieux remonter.


Pourtant, la Cité des Nuages n'amène pas la catharsis attendue. Elle est même décrite comme un piège dans le film. C'est que dans leur impatience, Luke et le spectateur ne comprendront pas que le rêve ne peut être un but en soi, et que plonger dedans sans se poser de questions, c'est s'assurer de se faire capturer sans possibilité de retour. À l'issue du film, le Mal n'est pas vaincu et les amis ne sont pas sauvés, faisant de cet épisode V un échec incontestable pour le héros dû à son erreur, et par là même un milieu de trilogie parfait.


Malgré cet échec (et même carrément grâce à lui), ce sauvetage raté est le premier pas vers ce qui est sans doute l'enseignement le plus important de la saga. En une phrase cultissime ("Je suis ton père"), la réalité de la nature du Mal comme faisant partie de nous est révélée à Luke comme à des générations de spectateurs choqués de cette révélation, autant dans le sens scénaristique du terme qu'au sens d'illumination. La scène de l'affrontement sur Dagobah, jusqu'ici très cryptique, prend alors tout son sens.


On repensera alors au fait que ce n'est pas l'appel à l'aventure qui pousse les rebelles à quitter leur planète glacée, mais bien l'Empire lui-même, ce dernier se lançant ainsi dans une phase d'apprivoisement par nos héros. Ainsi, le Mal est présenté comme nécessaire au bon fonctionnement de l'individu, le poussant à se défaire de ses liens paralysants, lui donnant ainsi les moyens de l'apprivoiser. Luke se donne donc les moyens d'apprivoiser son père en lui sacrifiant sa main, réitérant l'exploit de Týr, dieu nordique qui sacrifiait sa main au loup Fenrir dans le même but.
Pour se sauver après cette première étape, on a droit au même lâcher prise que dans l'épisode IV (bien qu'ici plus littéralement, Luke lâchant prise pour se laisser tomber), image universelle d'abandon de la volonté de contrôle, machine de destruction émotionnelle pour celui qui poursuit ce but, et parmi ceux là bien évidemment, l'Empire et ses deux têtes pensantes, Dark Sidious et Dark Vador.
Le film se termine sur une promesse : celle de s'affronter soi-même, seul combat permettant de dépasser les blessures qui nous éloignent de notre humanité.


Mythes de cinéma autant que cinéma de mythe, films cultes par excellence, La Guerre des Étoiles et L'Empire Contre-Attaque continuent aujourd'hui de fasciner par leur universalité et leur intemporalité, de s'imposer comme une pierre inamovible dans l'histoire du cinéma (en atteste le traitement, disons respectueux pour être dans l'euphémisme, qui leur est donné dans l'épisode VII). On regrettera la direction qui a été donné à la trilogie avec l'épisode VI (en gros, Luke devient Jedi sans payer les conséquences de son erreur capitale du V, pour continuer tranquillement vers un film d'aventure sans grande mythologie développée, et finir tout de même sur la fin adaptée au mythe des Skywalker). Mais restera pour toujours les deux premiers films, ces 2001 : L'Odyssée de l'Espace sans sa philosophie mais avec toute sa force de résonance, ces westerns dans l'espace sans le concret de la fondation de la nation américaine mais avec une fable tout aussi fondamentale, ces puits à interprétations sans fins mais avec du fond. Deux films à la croisée de tous les chemins. Essentiels, élémentaires, universels.


"– Qu'y a-t-il là dedans ?
– Ce que tu y apporteras."

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le 2 août 2019

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Mayeul TheLink

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