Que rajouter ? Tout a déjà été dit au sujet de L’Empire contre-attaque, deuxième volet de la trilogie originelle de La Guerre des Étoiles imaginée par George Lucas, et pour beaucoup le plus grand « Star Wars » jamais réalisé. Avec une telle renommée, difficile de parler de manière quelque peu originale de l’un des films ayant le plus marqué les consciences collectives, irriguant la pop culture de références et de tirades cultes depuis presque quatre décennies – et pour encore quelques unes j’en suis sûr – si bien que sans même avoir vu les films quiconque connaît au moins de nom Dark Vador, Maître Yoda ou encore Luke Skywalker, Han Solo et la Princesse Leia. Une saga qui berce désormais trois générations d’enfants et de plus grands ; et que l’on apprécie plus ou moins certaines trilogies, personne ne peut nier l’effervescence et la passion que chaque nouveau « Star Wars » déchaîne sur notre modeste planète isolée aux confins de la galaxie.
Le premier film amorçait une aventure inédite en introduisant une galerie de personnages des plus charismatiques (Dark Vador en tête, pour toujours le plus grand méchant du cinéma), dans un univers de science-fiction d’une richesse jamais effleurée jusqu’ici sublimé par des effets spéciaux révolutionnaires. Il nous laissait avec un jeune Luke encore ingénu, insouciant et inexpérimenté, et pourtant déjà orphelin de la seule figure paternelle qui l’ait jamais guidé, Ben Kenobi, pour affronter à lui seul un empire à peine affaibli par la destruction de l’Étoile de la Mort. De leur côté, Han et Leia ont lancé les hostilités en s’envoyant des piques phénoménales symptomatiques d’un attachement inévitable. Chewie, C3PO et R2D2 assurent quant à eux le côté humour et mascottes attachantes avec toute la sympathie qu’on leur connaît.
Voilà où en sont George Lucas et Irvin Kershner à l’aube de propulser ce nouveau-né cinématographique dans une toute nouvelle dimension : celle des étoiles. L’Empire contre-attaque réussit à développer tous les arcs narratifs et personnages dont il hérite en les ancrant un peu plus dans la légende : les dialogues entre Han et Leia fusent, toujours plus savoureux, et leur relation en est d’autant plus forte ; Vador s’affirme en meneur incontesté (bien que l’on découvre le personnage encore bien mystérieux de l’Empereur) et n’a jamais été autant redouté par ses officiers ; Luke mûrit et s’assagit même si sa fougue naturelle ressurgit par instants, et devient enfin le Jedi que tout le monde attendait.
Et puis il y a Yoda, petit être bouleversant, drôle et sage, dont les maximes resteront gravées à jamais dans la culture qui est la nôtre. Toute la séquence de l’entraînement de Luke sur Dagobah est passionnante et incroyable de justesse. Tout « Star Wars » est dans ces quelques échanges entre Luke et Yoda, dans cette lutte acharnée de la lumière face à la facilité du côté obscur qui n’est rien sinon l’avatar de nos peurs les plus enfouies, et qui n’existe que si on lui donne matière et raison d’être. Une philosophie universelle, certes, mais qui est ici transfigurée en art.
Au-delà des personnages, ce sont aussi les scènes d’action qui prennent de l’envergure. L’ouverture dans les neiges de Hoth est encore aujourd’hui la bataille la plus épique et la mieux réalisée de toute la saga, avec ce savant mélange entre des séquences de vaisseaux innovantes (les AT-AT et la manière de les détruire) et des plans sur les soldats déployés dans leurs tranchées qui rappellent par leur mise en scène certains grands films de guerre. La planète Bespin, avec sa cité dans les nuages, offre des panoramas fabuleux où le crépuscule est d’une beauté à couper le souffle tout en annonçant symboliquement la fin du film, plus grave. Le duel final entre Luke et Vador se passe de commentaires : si La Guerre des Étoiles n’offrait qu’une mise en bouche sans réels frissons de ce que peut être un combat au sabre laser, la tension et la fascination sont à leur paroxysme dans cet affrontement au sommet entre un père et son fils liés à jamais dans la légende (révélation de la filiation qui est d’ailleurs certainement la plus connue de l’histoire, mais qui ne perd pourtant rien de son impact émotionnel). Les clairs obscurs de la salle de la congélation carbonique illustrent à merveille le dualisme que représente la Force, les rayons lumineux pénètrent la fumée ténébreuse, les sabres bleu et rouge se croisent, la détermination de Luke s’attaque à la maîtrise de Vador comme si un enfant s’en prenait à Dieu lui-même. Ça y est, le spectateur, les yeux grand ouverts, prend conscience qu’il vient d’assister à un grand moment de cinéma ; mais pouvait-il se douter, en 1980, que ce simple « moment de cinéma » allait devenir un mythe intergénérationnel ?
Les légendes prennent du temps à se construire, et pourtant L’Empire contre-attaque semble avoir bâti la sienne instantanément. Porté par un score mémorable d’un John Williams signant ici ses plus belles compositions, cet « Épisode V » achève ce que son aîné avait commencé en apportant des réponses aux questions, en sublimant son univers de visuels et de planètes toujours plus riches, en multipliant les séquences et tirades inoubliables et, surtout, en proposant une parfaite alchimie entre action et moments d’introspection, entre humour et gravité, sans jamais oublier cette magie qui traverse toute l’œuvre de George Lucas et dont seule cette saga légendaire semble détenir le secret. Un film doté d’un charme fou, inexplicable, émouvant de naïveté et d’insouciance alors que sonnent les heures les plus sombres de la galaxie.
Un monument intemporel, qui comme la Force continuera de pénétrer et de se diffuser dans tous les êtres qui peuplent ce bas-monde.
Et quant à moi je retourne sur Dagobah, avec mon sac à dos et quelques équipements de fortune. J'ai une formation à débuter.
Paraît-il qu’un vieil ami m’y attend…