La chaine YouTube d’Arte dont le simple fait de s’abonner fait blanchir tous les poils de la barbe a poster il y a quelques jours le documentaire L’empire du silence de Thierry Michel. Je m’y suis lancé la fleur au fusil, sans trop savoir à quoi m’attendre. Bien évidemment, j’avais certaines anticipations en tête : on sait bien que le continent Africain est un continent riche qui est sans cesse pillé, par des entreprises étrangères, par des Etats étrangers, que ce pillage est souvent entretenu sciemment par certaines puissances qui veulent bien fermer les yeux sur des pratiques dictatoriales abominables, que la guerre y est entretenue pour remplir les caisses de certains. Guerre, pillage, viol, meurtre, fanatisme, famine, l’anarchie prise dans son sens le plus abominable où prédomine une forme chimiquement pure du célèbre Homo lupus homini est une image que l’on attache à l’Afrique, on le sait. Il faut dire que depuis tout jeune on a été bercé à coup de phrases culpabilisante du type « finit ton assiette et pense aux africains qui n'ont rien », si bien qu’on y pense souvent quand on mange mais c'est tout. Tout ça pour dire, je ne m’étais jamais concrètement posé la question de savoir comment les choses pouvaient se passer là-bas, quand bien même je savais que ce n’était pas chouette.

L’une des forces du documentaire est donc-là ; on sait que ces choses se passent, on le conceptualise, mais maintenant il faut les voir, montrer l’horreur. C’est un autre cap. Pendant 2h, nous suivons la situation militaire du Congo du point de vue de l’humain, des victimes et des bourreaux. On pourrait reprocher beaucoup de choses au documentaire : le fait de démarrer son histoire à la mort de Mobutu (pourquoi-là ?), le rôle des puissances étrangères passé en partie sous silence, un manque de clarté factuelle (qui, où, comment, tout cela reste parfois très flou) et l’éternelle question de savoir la source des images. Le documentaire peut être très maladroit sur ces aspects-là par moment surtout pour un néophyte quant à l'histoire africaine de mon genre. D’autant qu’il s’agit davantage d’une sorte de guerre civile où des milices se forment, des fanatiques religieux y rassemblent hommes et femmes terrifiés et affamés, et où des anciennes victimes deviennent bourreaux, où des bourreaux deviennent victimes, et il est parfois difficile de suivre quelles forces sont en présence et où. Dans cette guerre, il faut abandonner toute forme de morale ; la religion sert autant de dernier refuge psychologique pour les victimes que de vivier pour les fanatiques et les persécuteurs de futurs massacres. Un massacre non reconnu qui conduit les victimes à se faire justice eux-mêmes, entrainant ainsi un engrenage sans fin où l’on parle de ressources à piller sans que l’on voit vraiment où ces ressources aboutissent de façon très concrètes (alors qu'on le sait très bien, on les utilise chaque jour).

Mais là n’est pas la force du documentaire. L’empire du silence est un plaidoyer pour que la question congolaise soit suivi politiquement d’effets et que cessent les massacres des populations civiles, plaidoyer pour que la communauté internationale ose agir et cesse d’être dans la parfaite lignée de la SDN, une idée inutile. C’est un documentaire qui parle davantage au cœur. Les témoignages des victimes sont glaçants. Et s’il est bon d’intellectualiser la guerre, de la comprendre, aussi est-il bon d’écouter pourquoi la guerre est sœur de la paix, du pardon, et de bien saisir pourquoi elle a donner naissance à l’antimilitarisme (on en revient à pourquoi l’Europe a fondé la SDN après 1914 – avec tous les problèmes que ça a poser et l’inefficacité du projet que l’on sait, on parle juste de l’idée généralement mise en avant pour justifier la création de cette entité –, à savoir qu'elle ne voulait plus ça sur son sol, et si le projet a réussi en partie après 1945 (relativement on s’entend - puisqu’on a préféré exporter la guerre plutôt que d’y mettre fin), il ne faut pas dormir sur ses lauriers et oublier pourquoi des hommes et des femmes en sont arrivés à cette conclusion – ainsi, on ne peut que s’inquiéter quand la guerre touche l’Ukraine et que certains chroniqueurs ou politiciens se font les partisans de la boucherie, justifiant la guerre et/ou l’invasion, ce plutôt que de chercher à arrêter le conflit, ou quand on souhaite créer de toute pièce une sorte de guerre civile en Europe – ). Et c’est bien là que les images de Thierry Michel font le travail.

Sur les deux heures, le film égrène pas mal d’images absolument ignobles, choquantes, écœurantes, terrifiantes. Lorsque la caméra filme des réfugiés passés entre deux camps militaires qui se tirent dessus, lorsque la caméra filme un véritable flot de réfugiés, ou lors d’une séquence brute où la caméra se cache dans un fossé au milieu de familles accompagnées d’enfants qui se cachent des obus qui explosent à côtés d’eux, la terreur sur tous les visages est effroyable.

Des images prises dans le camp des bourreaux, comme ce militaire religieux qui expose sa foi, son programme, son idéologie complètement lunaire qui le conduise à commettre des massacres. Ou ces civils, entourés de soldats armés, contraints ou enthousiasmer à l’idée de chanter les louanges de la guerre et de leurs saigneurs.

Les deux pires séquences brutes sont vers la fin du documentaire. On y voit des envoyés des Nations unies être abattus par une milice qui se filme en toute impunité. Et du même ordre, on voit la force armée « étatique » commettre un massacre. Des gens, désespérés, finissent par se tourner vers des pratiques religieuses ancestrales. Se croyant ainsi protégés des balles, ils (hommes, femmes et enfants) se lancent à l’assaut armés de bâtons contre des hommes armés de fusils. On voit les militaires les abattre de loin puis s’approcher des corps pour achever les victimes. Le militaire, sur ordre de son supérieur, tire dans le sexe d’une femme morte au sol. Les corps qui émettent encore des spasmes sont abattus en gros plan. Les militaires jubiles et commentent le corps des femmes qu’ils viennent de tuer et qui respirent encore en rendant leurs dernier souffle. Vraiment une séquence de quelques minutes très dure à regarder et qui m’a poussé à écrire ce petit texte. Le président congolais (Kabila à l’époque), agit en toute connaissance de cause. Acculé après la diffusion des images du massacre des envoyés de les Nations Unies, il se défend en déclarant que les hommes responsables de cette exécution étaient des terroristes ; et visiblement, plusieurs raisons d’Etats sont venus freinés l’enquête, puisque de nombreuses preuves et témoignages accusant le président de complicité avec lesdits terroristes ont été ignorées par le rapport final. Il ne faudrait pas froisser un fidèle allié. D’où une forme d’omerta internationale dénoncée par le documentaire.

Pour en revenir à cette séquence qui arrive après une heure et demie on se doute que celle-ci n’a pas été choisie par hasard. Le pire n’a pas été montré et on a pas besoin d’en voir plus. On peut donc se questionner sur l’éternel débat de ce qui est montrable ou non dans une œuvre cinématographique, fut-elle un documentaire. Comme cette séquence arrive à un timing assez précis dans le propos défendu par l’auteur, on pourrait dès lors facilement l’accusé de sensationnalisme, ou de voyeurisme. Mais on est loin de l’image choc pour l’image choc. On est bien plutôt en face de la réalité naturaliste et crue de l’horreur de la guerre, où la vie humaine n’a pas de prix et où elle s’enlève à une pression du doigt. Et c’est bien parce que Thierry Michel montre ces images que je dis que c’est un documentaire qui parle au cœur : a-t-on vraiment envie de voir ça ?

Donc une belle réussite pour moi que ce documentaire, j'y ai appris des choses et j'y ai vu des choses qui m'ont intriguées et qui m'ont touchées quelque part.

Ji_Hem_
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le 27 déc. 2023

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