J'ai découvert Olivier Mannoni par ses interviews donnés sur Blast. Le bonhomme, dont la tâche a été de proposer une traduction de Mein Kampf, avait une hypothèse particulièrement intéressante sur le langage. Pour faire simple, il est de notoriété publique que Mein Kampf est un bouquin particulièrement indigeste, tant sur les idées que sur sa forme. Or, pour Mannoni, la forme participe au fond : le langage de Mein Kampf est, à dessein, confus, brouillon, dans le but, justement, de faire passer le fond tout aussi incompréhensible. Ce qui semble, à première vue, tout à fait intéressant.
De sa traduction, il tirera un essai, traduire Hitler (que je n'ai pas encore lu, parce qu'ici, on aime faire les choses dans le désordre). Coulée brune fait suite à ce livre, où il tente de démontrer que cette langue nazifiante à été introduite dans le langage politique français.
Sauf que dans cet essai, l'exercice est loin d'être convaincant, faute à une méthodologie inexistante. En effet, à la lecture, je n'ai pas eu l'impression d'avoir à faire à une démonstration mais au ressenti de l'auteur, ressenti que, par ailleurs, je peux partager, il me semble aussi qu'il y a un devenir fasciste des élites qui s'accélère.
Ouvrage constitué de petites phrases, celles qui sont déjà commentées et recommentées pour ceux qui suivent un peu l'actualité politique française sur le net (pas de surprise donc), Mannoni tente de nous faire la démonstration de manière anachronique que ce fascisme langagier prend place. Or, en isolant une phrase par un macroniste par ici, un tweet de Philippot de 2015 par là, en confondant, dans un même passage, Mélenchon soulé par un journaliste en 2012, Trump dans un tweet en 2016 et Bardella en 2024, on a peine à voir un tableau général de cette nazification de la langue, bien plus, on voit l'auteur y collecté les petites cerises de son gâteau.
Le tout manque d'une assise à la fois quantitative (autant je préfère les analyses qualitatives, autant certains sujets demandent une analyse plus quantitative) qui permettrait de chiffrer cette évolution, d'une structure globale cohérente (les chapitres s'enchaînent sans que l'on voit vraiment de grosses distinctions entre eux - l'auteur y aborde toujours des éléments piqués ça et là), mais également d'une assise théorique forte et stable.
Un exemple pour illustrer mon dernier point : dans son dernier chapitre consacré à l'éducation, Mannoni se plaint des attaques de l'extrême droite contre l'école, mais aussi de celle de Bégaudeau (critiquable sur bien des points mais de là à l'accoler au fascisme c'est grossier) qui disait que l'école n'avait pas pour but premier l'émancipation. Critique de gauche marxiste absolument classique, Mannoni y voit là une sorte de dérive qui tire dans dans le même sens que celle de l'extrême droite... comment être cohérent si l'on oublie que la gauche a, dès ses origines, émit des critiques contre l'école ? Ce pauvre monsieur va pâlir quand il va rencontrer la critique anarchiste de l'école ! Point qui semble anecdotique sur un ouvrage de 170 pages (au moins ça se lit vite), mais qui révèle néanmoins une sorte de lecture a-historique des idées.
Bref, de ce manque de méthode (rajoutons que très peu de chercheurs sont cités dans les notes, mais surtout des articles de presse - beaucoup Le Monde - je dis rien, mais ça aide à se situer : on est pas sur un travail universitaire et c'est dommage parce que je pense que c'est un sujet qui a été observé par ceux-ci depuis longtemps) et de culture politique, on se contentera de trouver un intérêt dans ce livre à une sorte de compilation des dingueries politiques de ces dernières années. On y apprend rien mais c'est une petit piqûre de rappel inoffensive qui vise peut-être juste à surfer sur le succès de sa thèse sur Hitler.