L'Emploi du temps est une longue marche, une longue fuite en avant de ce personnage qui ne fait qu'avancer pour ne pas regarder derrière et dont on ne comprend jamais les motivations (et qui pourrait bien le comprendre ?). C'est une partition, calme, douce, quasiment poétique et apaisante dont les notes chantent pourtant le plus grave, l'indicible, l'incompréhensible, quasiment le monstrueux : le mensonge permanent, la trahison véritable d'une confiance qui est censée être celle la plus sincère, la confiance familiale. C'est dans les trente dernières minutes que cette longue fuite en avant culmine, dans ce plan filmé de dos, où cet homme d'un coup change de rythme, marche lentement voire s'arrête comme le souffle coupé, comme si soudainement il ne fuyait plus mais qu’il ne pouvait pas avancer vers sa vie, dont il passait son temps à la travestir. En en arrière plan se détache cet habitacle enluminé, cette vie qui semble s’y déployer et qu’il contemple comme si elle était devenue inatteignable. Puis cet échange glaçant où tout le monde fait comme s’il ne se passait rien mais où chacun sait que l’autre sait et qu’il n’ose rien dire, par respect, par peur ou par honte. Tout se lit dans ses yeux, à lui, qui sait qu’elle est au courant mais qui n’ose rien avouer parce qu’il n’a pas d’explication ou qu’il a honte ; dans ses yeux à elle, qui ne comprend pas cet homme qu’elle a devant lui et qui se trouve saisi du vertige de la découverte qu’elle ne l’a en fait jamais connu ; dans les yeux de cet adolescent qui réagit dans ces situations comme tout adolescent, en se murant dans le silence dans sa chambre, et qui finit par dire maladroitement ce qu’il pense. Qu'a-t-on déjà vu d'aussi sincère, d'aussi vrai, d'aussi réel ? On peut remplacer le mensonge démesuré de cet homme par n'importe lequel des petits mensonges du quotidien, des petites tromperies, des petits secrets, des petits enrobages que chacun fait en se parant d'un prétexte qui lui sied (par peur de la réaction de l'autre ou par peur de le blesser, pour ne pas s'avouer quelque chose ou ne pas paraître comme on ne pense pas devoir paraître...), et on a exactement la même chose. Au terme de sa longue marche, L'Emploi du Temps fait ressortir ce qui fait probablement le sel des relations humaines : des regards et des silences, où personne n'est dupe, sur ce que font les humains pour vivre en société : mentir, sans que jamais personne ne comprenne vraiment pourquoi. Et où, dès qu'un discours sincère semble se dessiner, comme dans la scène de la voiture, on n'écoute pas et on fuit.