Qui a eu cette idée folle, un jour d'inventer l'école ?
L'enfance d'Ivan constitue le premier long métrage de Tarkovski. Un film épineux qui aborde le thème des enfants soldats et plante les premières règles "tarvoskiennes" sur la couleur, les matières et le symbolisme. Il constitue également une œuvre très particulière dans l’œuvre du réalisateur puisque comparé à ses films suivants,celui-ci aborde des thèmes de façon plus conventionnel.
Tarkovski témoigne à sa manière de la seconde guerre mondiale et du conflit qui opposera dans les années 40 l'Allemagne nazie et l'Union soviétique en dépit d'un accord de non agression signé entre les deux pays. Afin de dénoncer l'absurdité d'une guerre totale et destructrice il parallélise son propos au travers de la problématique d'un enfant soldat, élevé par des militaires et engagé comme espion. L'idée est de faire de l'enfant en question non seulement un enfant guerrier mais aussi un enfant de la guerre, un enfant dont les valeurs familiales sont devenues par voie de conséquences celles de la guerre. Il y est chez lui plus que nul par ailleurs à tel point que lorsqu'il est question de lui rendre son identité d'enfant au travers d'une école militaire, celui-ci se rebelle, refuse, abandonne, fugue.
Cette inéquation dans l'état d'enfance guerrière et l'état d'enfance telle qu'elle devrait être est d'autant plus forte qu'elle est renforcée par un état graphique : l'enfant traine dans la terre, est sale, et il est prêt à s'abandonner pour la guerre et à supporter les plus grands froids pour remplir sa mission plus encore que des soldats aguerris, c'est donc également l'apparent embrigadement fait envers ce gamin qui de toute évidence a été convaincu par son mentor haut gradé dans l'armée d'être soldat : "tu m'avais dit que l'information était le cœur de la victoire", la phrase est éloquente, l'enfant est influençable, et de toute évidence il a été influencé par sa famille d'adoption.
Car Ivan reste un enfant, joueur, enjoué, curieux, amusé, attendrit par ces militaires qui sont autour de lui et qui constituent pour lui sa seule famille. Une famille qui se sert pourtant de lui mais pour laquelle sa dévotion apparait comme totale. Ses souvenirs heureux d'une vie paisible sont encore vivaces et à ce titre le travail fait sur l'image est tout bonnement magnifique avec un contraste total entre un passé clair, lumineux, ensoleillé, chaud, fait de jeux et des corvées estivales d'un monde paisible, opposé au présent laid, fait de boue, de nuages, de gris, de noirs, en trois mots : une sale météo d'hiver.
C'est donc non seulement les enfants soldats qui sont dénoncés dans ce film, mais aussi tout le phénomène qui est autour et là où l'on pourrait voir un film se contentant de dénoncé les méfaits de la guerre, on découvre en réalité un film montant l'horreur au sein même de l'armée soviétique qui emploie des enfants comme des outils, d'ailleurs il n'est quasiment jamais évoqué l'opposant nazi, l'ennemi n'est ici qu'un catalyseur et n'apparait jamais à l'écran, parce qu'ici les ennemis ne sont pas ceux que l'on pourrait penser au premier abord mais bien les militaires soviétiques eux-mêmes.
En tant que première œuvre en long métrage, l'enfance d'Ivan constitue une remarquable démonstration de maitrise technique, et ouvre la voie à tous les films suivants du réalisateur, se différenciant néanmoins par un traitement plus concret d'une problématique, là où des œuvres comme Miroir ou Stalker s'appliquent à donner de nombreux sous-entendus afin de répondre à une problématique en allant beaucoup plus loin dans le symbolisme. L'enfance d'Ivan reste en soit un film remarquable en lui-même pour l'attachement à ce gamin dont l'ambigüité est très bien retransmise par le jeune acteur qui deviendra l'un des acteurs fétiches de Tarkovski, et son rapport avec sa famille/sa hiérarchie.
A déconseiller néanmoins pour un premier visionnage, l’œuvre n'est pas des plus pêchues et son allure volontairement austère peut en rebuter plus d'un.