L'anti 400 coups
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Le cinéma de Maurice Pialat semble avoir été sans cesse guidé, au gré des films qui le traversent, par une confiance inébranlable en son regard sans concession sur les êtres et les choses. En résulte une œuvre de réaction, provocatrice, déroutante et crue, souvent à contre-courant. L'on se souvient ainsi de cette fameuse phrase : "Si vous ne m'aimez pas je peux vous dire que je ne vous aime pas non plus" lancée à un public cannois furieux à l'issu de son accession à la Palme d'Or en 1987. Son premier long-métrage L'Enfance-nue, révision anti-romantique des 400 Coups, se présente avec éloquence déjà comme l'origine de ce parcours. Pialat y écrit les premières pages de sa comédie humaine par le commencement du voyage, déshabillant brutalement les lieux communs sur les premiers printemps de la vie.
Le film documente l'enfance comme un moment où les brisures internes deviennent irréversibles. Ce stade charnière de l'existence où l'opacité des rapports entre les êtres s'épaissit, où les agissements deviennent impénétrables pour le monde extérieur, sujets centraux de ses films à venir. Aussi était-il logique que son instinct le mène auprès de l'assistance publique, place des abandonnés et des laissés-pour-compte où ces mécaniques sont de fait exacerbées, où les peaux se durcissent là où les âmes sont dores et déjà brisées. François, jeune orphelin balloté de foyer en foyer, réagit ainsi instinctivement à la brutalité d'un monde dont il n'a pas encore pris la mesure, mais qui l'a pourtant déjà mis à mal.
La force du regard de Pialat réside dans la frontalité de son cadre, qui se refuse aux affects et qui ne basculera jamais dans l'expérience du pathos. L'âpreté de la mise en scène empêche de régler le parcours du jeune bambin sur la naïve quête d'un droit chemin à poursuivre. François se met à nu tel qu'il est, déterminé à vivre au fil de ses contradictions. Ainsi sadisme et tendresse se mélangent sans jamais s'exclure, et se chassent à tour de rôle sans raison explicable. L'obstination des adultes qui règlent administrativement sa vie heurte au premier degré, et ses transferts intempestifs de famille en famille, pour lesquels la frontière entre compagnie tenue et compagnie trouvée restera floue, se brisent inlassablement sur le mur de son indomptabilité. Le sort qu'il réservera au chat domestique de ses hôtes est à cet égard d'une force inouïe. Lui ne sera pas domesticable. Lui aussi se fera alors Enfant Sauvage, dommage collateral de la civilisation. Celle là-même qui s'efforce bien maladroitement de le réintégrer là où elle l'a initialement exclu.
Logés dans les creux de cet ensemble rigoureux, des moments de vie d'une authenticité profonde illuminent les plans, saisis avec génie sous le signe d'un geste documentaire qui brouille admirablement les frontières présupposées de la fiction et qui se donne comme trace de la forme documentaire que devait initialement prendre l'œuvre. La caméra s'attarde, en dehors de l'écriture, à capter l'alchimie variable des interactions entre les personnages, documentant sans artifices leur cohabitation. Incompréhensions, maladresses, mais aussi scènes de la vie et plaisirs simples : un bras soigné par Mémère, une porte cassée par François, mais reconstruite ensemble, avec Pépère.
Chacun comble ses manques au mieux. Ni enfants, ni adultes ne trouvent au sein de la petite communauté, la solution. Mais tous font dans la dureté, avec du cœur.
C'est ce monde-ci, honnête et sans vernis, que Maurice Pialat donne à voir.
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Créée
le 30 oct. 2023
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