Des Quatre cents coups à L’Argent de poche, François Truffaut s’est passionné pour l’enfance perdue ou rebelle. S’inspirant d’une histoire réelle, il livre en 1970 un film en noir et blanc d’une rare sobriété, au scénario concis, limpide et généreux.


Peu après la Révolution, des paysans capturent un gamin d’une douzaine d’années. Noir de crasse, échevelé, mutique, son comportement est aussi brutal que désordonné. Sont-ils en présence d’un enfant retourné à l’état de nature ? Il a souffert de maltraitance et est quasiment sourd. S’il suscite une vive curiosité, le « prodige » déçoit les curieux. Son cas divise les savants : a-t-il été abandonné à la suite de sa débilité ou, au contraire, l’isolement est-il la cause de son état d'hébétude ? Un humaniste imprégné de Rousseauisme, le docteur Jean Itard, obtient de le prendre à son domicile. Itard a laissé des notes très précises. Cinq années durant, il va s’efforcer d’ouvrir l’esprit du garçon. Après avoir gagné sa confiance, le patient et rigoureux pédagogue s’efforce de lui faire découvrir la signification des mots puis, plus ambitieux encore, de la morale et de la justice. La métamorphose est lente, mais le bon docteur ne doute plus de son succès : « Tu n’es plus un sauvage, même si tu n’es pas encore un homme. »


Truffaut a opéré une synthèse entre deux cas célèbres, Victor de l’Aveyron et Marie-Angélique Le Blanc. Un enfant est dit sauvage s’il a subsisté dans la nature. Ils sont fort rares, car leur espérance de vie est infime. Le petit humain ne dispose pas d’instinct de survie. Le climat, la faune et la flore sont hostiles, les proies rares et les dangers innombrables. Lors de sa capture, Victor était relativement “propre”, il ne consommait que de la nourriture cuite, craignait l’eau vive et le vide, acceptait de dormir dans un lit et sous un toit, autant de signes qui le classeraient plutôt dans la famille des enfants martyres, catégorie, hélas, plus nombreuse. Marie-Angélique Le Blanc a vécu, sous Louis XV, de l’âge dix à vingt ans dans les forêts de Provence. Cette Amérindienne avait appris, dès la petite enfance, à vivre dans et de la forêt : elle se protégeait du froid en s’enfouissant dans des terriers. Elle craignait le feu et fuyait les habitations. Elle parvint à réapprendre à parler, puis à lire et écrire, fait unique, pour entrer dans un ordre religieux.


Admirablement dirigé par Truffaut, Victor est joué par Jean-Pierre Cargol, aujourd’hui guitariste de flamenco. Sans un mot, le jeune gitan rend crédible son personnage. Son visage s’ouvre. Son regard insaisissable apprend à se poser sur Itard, à se troubler d’une première larme. Truffaut est le médecin, nous offrant plusieurs scènes d’une vertigineuse mise en abîme : nous devinons Truffaut dirigeant Truffaut acteur qui, face à un miroir, médite sur la prochaine réplique tirée du journal d’Itard.


Le film est court et j’avoue être resté sur ma faim. Victor progresse. Il s’enfuit pour revenir... vers ceux qui semblent bien être ses parents d’adoption. Mais, que va-t-il devenir ? Nous n’en saurons pas plus. Laissons conclure le bon docteur Itard : « L’homme en tant qu’homme, avant l’éducation, n’est qu’une simple éventualité, c’est-à-dire moins même qu’une espérance. »


Avril 2018

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le 26 janv. 2016

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Step de Boisse

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