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Une histoire déchirante, un grand film baroque, du grand cinéma

Je ne suis pas sûr d'avoir bien et tout compris, mais j'ai beaucoup aimé le film et j'y retournerai. L'histoire mise en scène se déroule sur près de vingt-cinq ans, à Bologne et à Rome, dans les États pontificaux (un cinquième environ de l'Italie d'aujourd'hui), dont le souverain pontife est alors le pape Pie IX.

Voici les grandes dates encadrant cette histoire vraie, dont je n'avais jamais entendu parler, mais qui fut alors (et qui est sûrement encore) connue de toute la péninsule italienne (et qui se gagna, via la diaspora juive, une audience internationale indignée par la violence et la cruauté de cette affaire) : - 1858, enlèvement du petit juif Edgardo Mortara sur ordre du Grand Inquisiteur de Bologne, afin de l'élever dans la religion catholique, car ayant été baptisé à l'insu de ses parents par leur servante catholique, il est désormais considéré comme chrétien par la loi canonique appliquée dans l'État pontifical et doit être élevé dans une institution catholique, le pape Pie IX s'intéressant personnellement à son cas ; - 1881, transfert de la dépouille de Pie IX de la basilique Saint-Pierre (où il reposait depuis sa mort en 1878, à l'âge de 85 ans) à, selon les désirs du défunt, la basilique Saint-Laurent-hors-les-Murs (transfert qui occasionnera de violents remous suscités par des laïcs extrémistes) ; - enfin quelque temps plus tard, mort de la mère d'Edgardo après un ultime échange et désaccord entre elle (née juive et fermement décidée à le rester jusqu'à son dernier souffle) et son fils qui a opté pour la religion catholique et qui est maintenant convaincu que le reste de sa famille est dans l'erreur et que le baptême chrétien est, seul, source de vie éternelle. Un bref panneau final se contente de nous préciser l'année (1940) et les circonstances de la mort d'Edgardo lui-même, sans plus détailler, après la rupture avec sa famille suite au décès de sa mère, son itinéraire spirituel, alors qu'il a encore vécu plusieurs décennies au sein du clergé catholique... mais on ne peut tout dire en deux heures quinze (une oeuvre artistique, ce sont des choix).

Bien que j'aie eu énormément d'informations (religieuses, historiques, politiques) et d'ellipses à assimiler ou prendre en compte pendant ces 135 minutes (tout en me demandant quelle était, dans tout cela, la part d'Histoire avérée et de fiction romanesque ajoutée par les scénaristes), cela ne m'a pas du tout empêché de goûter le film, qui est une splendeur (mise en scène magistrale, photographie en clairs-obscurs magiques, musique baroque parfois déchaînée, acteurs habités par leurs personnages, particulièrement Paolo Pierobon en pape Pie IX et Barbara Ronchi en Marianna Mortara, la mère d'Edgardo). Mais je l'ai fait en éprouvant malgré tout un sentiment de malaise mental (d'avoir le cul entre deux chaises, d'être partagé entre deux opinions), revivant ainsi moi-même l'espèce de schizophrénie provoquée, dans le psychisme du jeune Edgardo Mortara, par son arrachement à la culture juive et son endoctrinement catholique forcé (alors que le catholicisme est, à la base, une religion de douceur symbolisée par l'agneau christique).

Le film de Marco Bellocchio est un opus non dépourvu d'ambiguïtés, mais d'une grande richesse de contenu... que je me sens incapable de restituer en quelques lignes. Il entrelace le drame que vit Edgardo, brutalement privé de ses parents et de ses frères et soeurs à l'âge d'à peine sept ans (drame que vivent aussi ses parents, qui ne parviennent pas à ce que l'Église catholique / l'État pontifical leur restitue un de leurs fils), avec la perte (progressive, irrémédiable) du pouvoir temporel de la papauté qui n'a évidemment pas les moyens militaires de s'opposer, en cette deuxième moitié du XIXème siècle, à l'unification de l'Italie, non plus qu'au vent de libéralisme qui souffle dans tout le pays.

L'Enlèvement est aussi un film d'une grande richesse et beauté artistiques. On se demande comment le jury de Cannes 2023 a pu passer à côté.

Émotionnellement, le film est intense, saisissant ; il atteint le sublime dans la séquence onirique, où le petit Edgardo en longue chemise blanche se rend seul, nuitamment, dans la grande chapelle déserte (du collège de catéchumènes qui désormais l'éduque) et y délivre Jésus crucifié.

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le 14 déc. 2023

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Fleming

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