Je ne vais pas vous rappeler les circonstances de l'affaire Mortara. Le rôle désastreux de l'Église catholique et de Sa Saloperie Pie IX lui-même, pape qui détient le record du plus long pontificat de l'histoire (31 interminables années !). Vous avez Wikipédia ou ChatGPT pour ça et j'ai trop la flemme.
Marco Bellocchio, un des plus farouches critiques de la société italienne et analyste implacable des taches du passé de son pays, raconte certes en partie une tragédie familiale, usant souvent du montage parallèle, alternant à chaque fois deux scènes, pour souligner la distance que prend de plus en plus l'enfant kidnappé avec les membres de sa famille (à l'instar de ces derniers en train de célébrer le Shabbat alors que le gamin entre pleinement dans l'Église !). Mouais... finalement, on ne les voit pas tant que cela, les membres de la famille du kidnappé, une fois la première moitié passée. Il y a de longs passages de temps (sur le plan du métrage et sur celui historique !) sans qu'ils apparaissent.
Car ce qui semble principalement intéresser ici le réalisateur, c'est de faire la peinture (ou plutôt le défonçage en règle !) des autorités cléricales au pouvoir lors des événements contés et en particulier de son représentant suprême (surtout à partir du moment lors duquel le gamin a grandi, le développement religieux de celui-ci, entre l'enfance et l'âge adulte, étant mis complètement de côté !). On aurait pu penser que Bellocchio aurait croqué le pape comme une figure puissante lointaine, écrasante, inaccessible, loin du commun des mortels. Au contraire, le cinéaste montre bien que derrière les attributs de chef de l'Église se dissimule un être humain stupide, buté, pitoyable, bouffon, arrogant, intolérant, avec un esprit étriqué, n'ayant pas du tout saisi les changements politiques de son époque. Il le ramène constamment à sa condition terrestre. Dès qu'il peut le ridiculiser, dès qu'il peut lui faire prendre une gamelle, il fonce sans hésiter. Sa Sainteté est un véritable punching-ball ambulant.
Autant dire que le type derrière la caméra s'en donne à cœur joie pour le faire passer progressivement d'un chef d'une partie importante du territoire italien à un trouduc sans influence politique qui s'isole dans son palais, sous la tempête des idées libérales et du feu des canons du Risorgimento (d'ailleurs, l'affaire Mortara a contribué d'une manière non négligeable à donner une image de monstre tyrannique à l'Église, à abattre absolument pour les révolutionnaires !), le poussant à s'agripper à ses quelques pitoyables parcelles de pouvoir restant (y compris l'emprise psychologique qu'il a sur le kidnappé !), se refusant à saisir qu'il se doit, maintenant, d'incarner un poids moral en ouvrant le dialogue avec les autres religions et les idées sociétales de son temps (heureusement que son successeur, Léon XIII, autrement bien plus lucide et intelligent, le comprendra !), que non, enlever des gosses juifs à leur famille et refuser de le leur rendre, ce n'est plus top tendances (oui, il ne faut pas croire, il était loin d'être le premier pape à le faire !).
Hélas, ce fond de fresque historique souffre d'un manque de moyens visibles passant par quelques fonds verts et effets spéciaux en CGI assez dégueulasses ainsi que par des séquences de foule peu fournies du point de vue figurants.
En outre et par-dessus tout, qui dit fresque dit toute une somme de destins et d'histoires liés les uns aux autres à présenter. Et s'il prend bien le temps de s'acharner sur le neuvième Pie, Bellocchio (comme je l'ai déjà brièvement mentionné !) survole considérablement, essentiellement dans la seconde moitié donc, à coups d'ellipses, à coups de peu de temps global de présence, la tragédie familiale et le portrait d'Edgardo (oui, c'est le nom du petit garçon victime du rapt papal, j'ai oublié de le dire !) du début jusqu'à la fin du film. Sur ce dernier point, le fait d'avoir négligé entièrement le cheminement psychologique d'un être juif à l'origine, ayant embrassé la religion catholique, a pour conséquence que son attitude schizophrénique, lorsqu'une foule hostile veut jeter le corps du défunt pontife dans le Tibre, semble un peu trop sortir de nulle part.
Bref, L'Enlèvement avait le potentiel, par son sujet, ou ses sujets, tous rattachés entre eux, s'ils avaient été tous creusés à fond, d'une vaste fresque, entre intime et Histoire avec un grand H, forte, mais faute d'ambitions (ou de suffisamment de pognon !) en ce qui concerne les récits et la mise en scène, on finit par quasiment juste avoir le passage à tabac, incontestablement jouissif et réussi, d'un abruti pontifical.