Une vision équilibrée de la guerre d'Algérie
Voilà un très bon film sur la guerre d'Algérie, qui a le mérite d'aborder, de façon très équilibrée, de nombreux aspects de ce conflit.
Tout d'abord, il montre bien la réalité de la guerre, et plus précisément de cette guerre : la guérilla du FLN, les tueries de ce mouvement indépendantiste, y compris contre des Algériens (massacre d'un village entier), mais aussi la répression féroce, la pratique de la torture par les Français (utilisation de la gégène), les corvées de bois (assassinats de prisonniers maquillés en tentatives d'évasion), les bavures et massacres divers, l'utilisation du napalm par l'aviation française. Où l'on voit bien que la haine engendre la haine, la violence la violence, et que les méthodes sont à peu près les mêmes des deux côtés : pas question de la part du réalisateur de refuser de montrer les violences françaises, mais on n'a pas non plus d'idéalisation de l'action du FLN, bien au contraire. Il s'agit là d'une vision dans l'ensemble équilibrée et objective de ce conflit sanglant qui, comme le rappelle le film, a fait plusieurs centaines de milliers de morts (essentiellement algériens) et n'a été reconnu par la France comme une guerre qu'en 1999...
Ce film montre la complexité de cette guerre sur d'autres plans : l'armée française est composée d'anciens de l'Indochine expérimentés et endurcis, mais surtout d'appelés, des « gamins » qu'on a envoyés de force faire la guerre, et quelle guerre... On trouve aussi aux côtés des Français les Harkis, dont on montre bien le dilemme, notamment à travers la figure d'un jeunes algérien, résumé par un fellagha prisonnier des Français : « tu n'es plus un Algérien, tu ne seras jamais un Français ». On voit ainsi des Algériens enrôlés de force, d'autres qui rejoignent les Français à la suite de la barbarie du FLN, ou au contraire les quittent du fait des violences françaises ; il y a aussi deux Algériens qui ont combattu pour la France à la tragique bataille du Montecassino, mais un choisit de sa battre encore pour la France, tandis que l'autre lutte pour une Algérie libre. Il y a aussi des Français qui refusent la torture, et d'autres qui l'acceptent notamment pour assurer leur survie, etc.
Le film comprend d'assez nombreuses scènes de combat mais il offre aussi une présentation assez intimiste de la vie des soldats français, de leur difficiles conditions de vie, de la nécessité d'un exutoire, à savoir l'alcool : ces hommes, souvent livrés à eux-mêmes, rongés par la peur, la folie et la paranoïa, essaient de se protéger comme ils peuvent. Le personnage principal, incarné par Benoît Magimel, parviendra-t-il à ne pas sombrer, à maintenir ses convictions, notamment par rapport à la torture. Où est la vérité ? Où et qui est l'ennemi ? Faut-il obéir à tous les ordres ? Plusieurs attitudes sont possibles : obéissance aux ordres et lutte désespérée, suicide, désertion... Albert Dupontel, à travers le sergent Dougnac, décrit de façon magistrale les difficultés de la situation. Il est vraiment très bon dans ce rôle.
Le film traite aussi très brièvement mais de façon pertinente le thème du retour en France, évoquant la difficulté du retour des combattants français, quand on voit la propagande française qui nie la guerre, ne montre des Français que des actions positives et pacifiques, et pas du tout les actions armées...
Quelques critiques négatives tout de même à ce film, notamment sur le côté « artistique » : si les paysages sont majestueux, les images de grande qualité, on pourra éventuellement trouver discutable un certain côté esthétisant ou regretter par exemple l'utilisation excessive de la bodycam, qui à mon avis n'apporte rien mais casse un peu le réalisme des scènes où elle est utilisée.
Au final, un très bon film sur la guerre d'Algérie, une vision équilibrée qui décrit avec beaucoup de justesse les sentiments de différents acteurs de ce conflit, soldats français, harkis, voire rebelles du FLN (beaucoup plus brièvement).