Voilà un film éminemment britannique qui n’a aucune sortie de prévue au Royaume-Uni. Le Coronavirus est passé par là… Depuis le 22 Juin, les spectateurs français ont le bonheur de pouvoir à nouveau fréquenter les salles obscures, et de profiter de petites pépites comme cette Envolée de la jeune Écossaise Eva Riley .
Le film s’ouvre sur un gros plan de Leigh (Frankie Box), ou plutôt de sa tête à l’envers sur une barre d’entraînement dans son gymnase. Leigh est une apprentie gymnaste. Son corps veut bien, mais son cœur est ailleurs, et ses exercices d’entraînement sont laborieux. De fait, c’est toute la vie de Leigh qui est à l’envers, chamboulée. Eva Riley choisit de concentrer son récit sur une période très courte, 5 jours à peine. Taciturne, timide, Leigh est surtout livrée à une solitude pesante. Son père, dépressif, est présent par intermittence (il vit sans davantage de joie chez sa maîtresse plutôt qu’avec sa fille). Sa mère est absente, on devine qu’elle est morte, mais Leigh n’en parle jamais. L’argent se fait très rare, et Leigh ne sait pas où trouver les 50£ dont elle a besoin pour la grande compétition qui se profile. Seule, sa coach Gemma (Sharlene Whyte) fait figure de parent, et représente la seule source d’un semblant de tendresse.
L’arrivée de Joe (Alfie Deegan), un demi-frère sorti de nulle part, le fils adultérin d’un père volage, va quelque peu changer le périmètre de son existence. Bien qu’étant un fils attentionné, désireux de partager une intimité avec ce père qui lui a manqué, bien qu’étant un frère plein d’égards en si peu de temps, Joe est une autre graine qui a poussé au gré du vent, ambitionnant de vivre de larcins plus grands que les précédents. Joe n’est pas plus armé pour la vie que sa petite sœur Leigh.
Vu ainsi, le film peut paraître rejoindre la cohorte des films sociaux britanniques, avec évidemment Ken Loach comme porte-étendard, mais avec des ramifications comme par exemple les films de Shane Meadows, Ne pas Avaler de Gary Oldman, Tyrannosaur de Paddy Considine, ou Broken de Rufus Norris. Mais, en réalité, le film est moins social qu’il n’y paraît, et plus intime qu’on ne le croit. La pauvreté et le désordre familial ne sont pas le sujet, ils sont une sorte de toile de fond ; le sujet , c’est Leigh. Sa souffrance, sa solitude, ses petites joies, ses doutes, ses désirs en déshérence qui s’accrochent où ils peuvent comme une plante sans tuteur. Le sujet, c’est ce rapport nouveau, inquiétant tout autant que grisant, avec un frère à peine fréquentable, mais un frère sur qui elle peut compter.
Eva Riley filme d’une façon juste, d’une manière plutôt minimaliste, mais dont les plans serrés sur la jeune Frankie Box, une actrice non professionnelle, débutante en tout cas, sont empreints de vérité. En cela, l’Envolée se rapproche davantage du cinéma de Andrea Arnold, de Fish Tank en particulier, qui met également en scène une adolescente comme Leigh, mais aussi de American Honey, où l’appartenance à un groupe, aussi hétéroclite soit-il, galvanise Star, la jeune protagoniste qui partait en chute libre dans sa famille décomposée. Dans l’Envolée, le visage taciturne de Leigh s’illumine au contact des amis que son demi-frère s’est fait rapidement dans le coin, la hardiesse et l’assurance lui viennent sous le regard de Joe et de ses amis. Tout d’un coup, les gestes mais surtout la grâce lui viennent sous l’œil attendri de son frère ; tout d’un coup, les collines de Brighton, où la réalisatrice Eva Riley habite, et de sa banlieue sont baignées de soleil, de rires, capturées dans des plans plus larges et qui respirent, comme si la souffrance lâchait enfin son emprise sur la jeune Leigh qui retrouve une joie de vivre.
L’envolée est un film intimiste très réussi, naturaliste, mais pas trop. Les personnages gardent leur mystère tout en livrant une émotion à fleur de peau, et laissent présager d’un avenir prometteur de la part de la jeune scénariste / réalisatrice écossaise…