Jerry Schatzberg filme magnifiquement la marge avec ce duo de sans domicile fixe, rejeté par la société, traversant les États-Unis en quête d’un rêve inaccessible sans pouvoir y trouver un lieu où habiter.
Placés symboliquement dès le début du film à la marge, plus exactement sur le bord de la route, où personne ne daigne les prendre en stop, Max et Lion partagent malgré eux le même état : celui de parias, d’exclus, de bannis de la cité. Symboliquement aussi, ils se trouvent chacun d’un côté de la route, face à face, en opposition, séparés par le chemin. Tout les éloigne en effet : l’un est grand, fort, cogneur, taiseux ; l’autre est petit, trépignant, clownesque et fragile. Or cette antithèse de caractères, variation sur le type du clown blanc et de l’Auguste, donnera lieu à une amitié indéfectible, l’une des plus belles et touchantes du cinéma (on pense aussi au Dersou Ouzala de Kurosawa, qui lui est postérieur chronologiquement, et dans lequel on retrouve la même fusion symbiotique ; ou encore à Macadam Cowboy, quoiqu’esthétiquement et moralement beaucoup plus audacieux), et dont la vibrante humanité n’aura pas laissé indifférent le jury œcuménique de Cannes.
Jerry Schatzberg concède de la liberté de jeu à ses acteurs, qu’Al Pacino saura mettre à profit dans ce rôle d’ami fidèle et dévoué, misant sur le rire pour amadouer les forces qui le dépassent, se laissant aller dans maintes mimiques et autres facéties farcesques. Gene Hackman est lui aussi remarquable dans son rôle de grand frère protecteur, irréductible bagarreur et coureur de jupons. Le cinéaste parvient à préserver un équilibre fragile mais qui tient chez ses personnages, tout en montrant la complémentarité qui les unit. À partir d’un scénario très simple, presque minimaliste, dans la lignée du nouvel Hollywood des années 70 et dans le contexte de contre-culture, celui-ci construit un road-movie explorant les bas-fonds de la société américaine, menant ses personnages d’hôtel miteux en bar calamiteux en passant par un camp de redressement et une maison jonchée de ferrailles et autres objets de débarras, le long d’une errance au cours de laquelle ils rencontreront des pédales de prison, des putes, des poivrots et autres marginaux. Pourtant, ce calvaire ne fait qu’attiser la lueur de leur espoir – chez l’un celle de monter son humble affaire, chez l’autre celle de reformer une famille – qui leur permet d’avancer avec une aveugle opiniâtreté vers le but qu’ils se sont donné.
Une splendide histoire d’amitié et d’humanité dans une Amérique des laissés-pour-compte.