Juste sur un point ou deux. Quelques éléments et personnages : Les enfants : Ana et Isabel. Les parents : Teresa et le père apiculteur (Fernando). Un autre membre de la famille, une sœur sans doute, réfugiée en France, absente ou morte, qui pourrait être le silence de la maison. Ce silence qui rentre même dans la parole des enfants, en scandant leurs phrases ordinaires, détachant les syllabes jusqu'à en faire des comptines fantastiques. Il faut réentendre en soi après le film comment elles s'appellent l'une l'autre : "I-sa-bel", "A-na" et comment elles se parlent et se répondent de la même manière, de ce chuchotement articulé lentement parce que le silence ne tolère pas trop de phonèmes à la seconde, au risque de réveiller les disparus, les morts, les esprits. Comme si aussi, dans la voix même des enfants, il y avait tout le deuil de l'Espagne de 1940, juste un peu, ou plutôt cette extinction d'énergie après un choc. Ajoutons deux autres personnages qui font faire naître un troisième : Le train et le paysage; campagne castillane quasi plane, jaune terre, qui, rayée par le passage du train, comme un chien de nuit, va accueillir le fugitif, sorte de rêve issu du train, du paysage et d'une lettre, du regard peut-être de Teresa posé sur ses voyageurs, et dans lequel passe, après l'écriture de sa lettre toute sa douleur. C'est cette chimie remarquable entre les choses, les désirs, les silences qui s'interpénétrent et font naître de nouvelles choses, personnages, et chimie aussi des genres, effacés et retrouvés. Ana dont l'imaginaire amène un fantastique ordinaire, et d'autant plus puissant, un fantastique intérieur, un fantastique de l'œil seul, son visage écarquillé en témoigne seul et irradie le film de ce qu'elle a elle-même vu-et-vécu, verbe unique pour elle. Isabel, réalisme pragmatique, qui va en se délestant de sa part d'enfance et d'imaginaire va y plonger sa sœur en toute innocence. Teresa, le politique, mais toujours allusif, et le sentiment de l'absence, d'un pays absent à lui-même, en attente. Fernando, le regard extérieur, disons l'entomologue-apiculteur, qui amène la part de science au film, sa réflexion tranquille. Toutes ces couches de réalités différentes se mêlent dans les espaces silencieux organisés par Erice pour un film qui n'appartient à aucun genre préétabli, les contient tous à un moment ou un autre, comme par hasard heureux. Oui, toutes les grandes mises en scène et tous les montages sont des hasards heureux, issus de la rencontre des éléments savamment et justement posés.

JM2LA
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le 8 oct. 2015

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