11 Novembre 1976. Le film pornographique L'Essayeuse, signé John Thomas (pseudonyme choisi par Serge Korber, réalisateur de Sur un arbre perché avec Louis de Funès), est condamné à la destruction par la justice française. L'année précédente, en Octobre 1975, il fut interdit aux moins de 18 ans puis, en Mars 1976, classé X avant que son sort ne soit scellé. Une telle sanction n'était jamais arrivée depuis l'Occupation.
Que L'Essayeuse soit devenu la tête de turc des bien-pensants de son époque, c'est aussi surprenant qu'imbécile. Et à vrai dire, sans cette sanction, le film aurait simplement fait partie du tout-venant des sorties pornos annuelles pendant que le cinéma érotique, lui, affichait une santé économique autrement plus orgueilleuse. Jugez plutôt.
En 1974, la célèbre Emmanuelle commençait à rencontrer l'immense succès qui sera le sien.
En mars de la même année, Les Valseuses de Blier fait également parler de lui, la présence de stars telles que Dewaere et Depardieu jetant un peu plus d'huile sur le feu en permettant à cette comédie "autre" de toucher un large public. Toujours en 1974, sort le célèbre L'Empire des sens de Nagisa Oshima, dont la réputation continue d'atteindre le public des années 2000.
Résultat des courses : 128 films classés érotique sortent cette année là et raflent 16% des entrées annuelles. Au cours de ces douze mois, le cinéma pornographique n'est néanmoins pas en reste.
Feu le festival d'Avoriaz décida de programmer l'expérimental et troublant Devil in Miss Jones de Gerard Damiano, qui sera peu après récupéré par le Festival de cinéma fantastique de Paris.
Enfin, difficile d'occulter la sortie du dessin animé "Les 9 vies de Fritz le chat", extension du premier long-métrage d'animation classé X, Fritz the Cat de Ralph Bakshi (on s'auto-cite comme on peut).
Plus tard, en 1975, alors que L'Essayeuse sort en salles, trois films américains pointent aussi le bout de leur (ajoutez la partie anatomique de votre choix) : le même Devil in Miss Jones, qui a fini d'affoler les festivals, ainsi que le célèbre Gorge Profonde (les deux films étant signés Damiano) et Derrière la porte verte d'Adrienne Mitchell & Artie James. La même année aura lieu le premier (et unique) Festival du film porno à Paris. Le 31 Octobre, fête des morts pour certains, est un triste jour pour le genre : c'est la date où le classement X est voté et instauré, enfermant le porno dans un ghetto culturel dont il n'est jamais vraiment sorti depuis. Le 12 Novembre est également à marquer d'une pierre blanche, la date étant celle où fut pour la première fois présenté Salo de Pasolini, à Paris.
Pris à parti, L'Essayeuse fut la cible de ligues familiales et moralisatrices qui, on se demande bien pourquoi, choisirent de taper sur ce film en particulier au lieu de carrément partir en guerre contre l'industrie. L'aspect le plus dérisoire de cette farce judiciaire reste le nom de certaines des associations qui se sont regroupées autour de l'Union des associations familiales catholiques dans leur croisade. Parmi elles, on trouve quand même Les Vieux de Montreuil, L'Association des sourds muets ou encore Les Scouts de France !
Suite au procès, les acteurs et le cinéaste se voient contraints de payer une amende allant parfois jusqu'à 10.000 francs pour outrage aux bonnes moeurs. Les accusés tenteront de faire appel, en vain. Résultat, les amendes seront majorées jusqu'à 18.000 francs...
L'objet du délit ? Un film dont le pitch aguicheur ouvre la porte à pas mal de fantasmes extra-conjugaux. Employée d'une boutique de vêtements, une vendeuse a pour habitude de passer plus de temps à essayer ses clients qu'ils n'en prennent pour essayer les tissus ! Amusant, le film l'est régulièrement, comme peut l'être tout film X lorsqu'on ne le prend pas au premier degré. Pour autant, le long-métrage de John Thomas bifurque assez vite vers un décor de campagne, en fait une maison isolée dont la tenancière a invité l'héroïne pour une série d'acrobaties à plusieurs. Sur ce prétexte qui en vaut un autre, L'Essayeuse brode davantage un récit d'initiation (de la visite d'un hammam gay à une orgie finale à la fois fiévreuse et désenchantée, le cinéaste varie les plaisirs) auquel il appose une réalisation bien plus solide et intéressante que pas mal de films dits respectables, bien aidé par une direction artistique réjouissante pour peu qu'on prenne le temps de reluquer autre chose que ce que l'on est venu voir en réalité. Un film très sympathique en somme, et jamais ennuyeux. L'air de rien, peu de films X donnent envie de les voir en intégralité.
Mais le porno, ce n'est pas du cinéma, comme aime à le dire Quentin Tarantino. Venant de l'homme qui a signé avec Boulevard de la mort le faux-porno fétichiste le plus excitant de la décennie écoulée, on est quand même en droit de laisser la question en suspens et, pourquoi pas, de voir dans L'Essayeuse un beau contre-exemple à cette idée toute faite.
Appelées à disparaître, les copies de L'Essayeuse n'ont semble-t'il pas toutes subi le même sort. J'ai moi-même découvert le film en salle à la Cinémathèque de Toulouse, lors d'un festival consacré aux films interdits. La destruction d'une oeuvre par le feu relève, on le répète, du jamais vu depuis l'Occupation. Comme quoi, si le porno n'a pas refait l'histoire du cinéma, il en fait en revanche très clairement partie.
Sources complémentaires :
-Christophe Bier, Dictionnaire des films français pornographiques et érotiques, 16 & 35mm, ed. Serious Publishing, 2011
-Jacques Zimmer, Le Cinéma X, ed. La Musardine, 2012 (nouvelle édition)