Sur le quai et prêt à s’embarquer, un docteur se détourne pourtant de sa destination initialement prévue (l’Afrique) pour privilégier un mal local et intestin qui gangrène les épouses. Ce mal, on pourrait le nommer frustration sexuelle, ou tout simplement désir. Un désir que des maris cantonnés dans des rôles dont les femmes sont exclus refusent de pallier, la faute à une routine castratrice : les voici entre amis à jouer aux boules, eux qui ne savent plus faire l’amour, les voilà assis en terrasse à attendre les consommations et à reluquer à droite à gauche, sans vergogne, avec impuissance. Il faudra une tentative de suicide et l’intervention de la « médecine » moderne, qui est d’utilité publique et devrait être remboursée par la Sécurité Sociale.
Aussi L’Étalon propose-t-il, pendant une heure et demie, un art de compenser qui marie la provocation sociale avec ma mise en scène d’un problème à l’œuvre dans la société dont il est le contemporain ; Jean-Pierre Mocky reconnaît lui-même qu’au cours des projections, de nombreux maris ont forcé leur épouse à quitter la salle de cinéma... Preuve que la vision du cinéaste, alliant la farce politique et le pamphlet virulent, dérange, qu’il met le doigt sur un point sensible encore tabou. On recrute des travailleurs du sexe en marge de la loi puis avec son consentement, on veut transformer les soldats en étalons, selon l’adage « faites l’amour et pas la guerre ». Tourné en sept petits jours, ce qui se ressent dans l’agencement des scènes dont le montage peine à divulguer les raccords parfois grossiers, le film traite de l’amour malheureux comme d’une maladie, offre à un Bourvil malade le premier rôle, celui d’un médecin persuadé de la grandeur de son geste. Et c’est là tout l’intérêt du film : le docteur n’est pas un charlatan qui se jouerait des titres pour cacher de bien immorales pratiques, non, il croit dur comme fer à son entreprise de guérison et de libération de la femme, va jusqu’à obtenir le soutien d’un député puis l’adhésion de l’Assemblée Nationale lors d’une scène aux quiproquos délicieux.
Par son rythme effréné et son goût pour le politiquement incorrect, L’Étalon parvient à penser le burlesque comme le ton adéquat pour dire quelque chose de fort sur une condition féminine alors en pleine révolution. Savoureux et jubilatoire.