Moins réussi, mais plus accessible, que Le regard d’Ulysse ou Le pas suspendu de la cigogne (les deux chefs-d’œuvre d’Angelopoulos), L’éternité et un jour évoque Proust perdu chez les Balkans dans l’image de cet écrivain qui va mourir et se rappelant sa vie passée, sa femme surtout qu’il n’a su aimer, peut-être, par rapport à son immense amour à elle. Dans son périple poignant entre souvenirs lumineux et morne réalité, à l’approche de la mort, il va rencontrer un petit Albanais, tout jeune réfugié qu’il tentera d’arracher à des trafiquants d’enfants et de ramener vers les siens, de l’autre côté des frontières brumeuses et terribles.

C’est un retour aux origines, et en même temps un exil, que raconte pleinement Angelopoulos avec, toujours, cette puissance sublime dans la mise en scène, mouvements, rythmes et plans-séquences admirables, amples dans leur façon de magnifier ou recomposer le réel, et l’histoire d’un pays aussi par-delà ses traditions culturelles et religieuses. Ce retour aux origines prend essentiellement la forme d’une nostalgie des jours meilleurs et d’un monde privilégié (L’éternité et un jour serait-il le Nostalghia du réalisateur grec ?), en opposition à une fuite du présent miné par des désillusions sociales et politiques.

Alexandre, cet écrivain parvenu au soir de sa vie, vagabonde à travers l’hier (sa mémoire) et l’aujourd’hui (l’enfant qu’il faut aider), témoin d’une Histoire en marche sans plus de repères ni d’humanité. Comme pour y échapper, il s’immerge une dernière fois dans les lacis ensoleillés de ses souvenirs qu’il voudrait ne jamais délaisser, ne jamais quitter, tel un temps indéfini, impalpable et offert en entier, qui lui resterait de nouveau à vivre. Il ne faut pas oublier, si primordiale dans cette grande œuvre désenchantée, la musique splendide, comme toujours, d’Eleni Karaindrou, compositrice attitrée d’Angelopoulos, emprunte ici d’une belle mémoire tzigane, violons, accordéons et pianos qui pleurent, dansent, s’entremêlent et se répondent, mélodies mélancoliques mais brûlantes restituant si parfaitement l’âme errante de pays déchirés par les déracinements et les guerres.
mymp
6
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Top Theo Angelopoulos

Créée

le 15 nov. 2012

Critique lue 676 fois

4 j'aime

1 commentaire

mymp

Écrit par

Critique lue 676 fois

4
1

D'autres avis sur L'Eternité et un jour

L'Eternité et un jour
zardoz6704
9

La beauté est partout.

C'est le genre de film dont on n'a pas envie de résumer le scénario, tant ce n'est pas au niveau des événements que cela se joue. Alexandre, un écrivain vieillissant et malade, voit sa mère vieillir,...

le 13 oct. 2013

11 j'aime

L'Eternité et un jour
Dilettante
9

La lutte du BEAU contre l'UTILE

Spleen d'un auteur enlisé dans les vicissitudes de la vie, Angelopoulos tente d'extraire l'homme de son enveloppe d'artiste afin de pouvoir le restituer au monde. Alexandre, confronté à sa propre...

le 19 sept. 2011

7 j'aime

5

L'Eternité et un jour
mymp
6

Le temps retrouvé

Moins réussi, mais plus accessible, que Le regard d’Ulysse ou Le pas suspendu de la cigogne (les deux chefs-d’œuvre d’Angelopoulos), L’éternité et un jour évoque Proust perdu chez les Balkans dans...

Par

le 15 nov. 2012

4 j'aime

1

Du même critique

Moonlight
mymp
8

Va, vis et deviens

Au clair de lune, les garçons noirs paraissent bleu, et dans les nuits orange aussi, quand ils marchent ou quand ils s’embrassent. C’est de là que vient, de là que bat le cœur de Moonlight, dans le...

Par

le 18 janv. 2017

182 j'aime

3

Gravity
mymp
4

En quête d'(h)auteur

Un jour c’est promis, j’arrêterai de me faire avoir par ces films ultra attendus qui vous promettent du rêve pour finalement vous ramener plus bas que terre. Il ne s’agit pas ici de nier ou de...

Par

le 19 oct. 2013

180 j'aime

43

Seul sur Mars
mymp
5

Mars arnacks!

En fait, tu croyais Matt Damon perdu sur une planète inconnue au milieu d’un trou noir (Interstellar) avec Sandra Bullock qui hyperventile et lui chante des berceuses, la conne. Mais non, t’as tout...

Par

le 11 oct. 2015

162 j'aime

25