En 1918,à La Nouvelle-Orléans,la femme d'un industriel meurt en accouchant d'un bébé au physique de vieillard.Horrifié,le père s'empresse d'abandonner l'enfant,qui est recueilli par la gouvernante d'une maison de retraite,ce qui tombe bien car le gamin passe inaperçu dans cet environnement.Du moins au début,étant donné que contre toute attente il se met à rajeunir.Vient alors pour lui le moment de partir à la découverte du vaste monde,ce qui lui vaudra de faire beaucoup de rencontres insolites.Adapté d'une nouvelle de Francis Scott Fitzgerald,le film a pourtant une structure identique à celle de "Forrest Gump",avec son héros naïf,optimiste et imperturbable qui,en dépit de son handicap,traverse tranquillement l'histoire américaine du XXe siècle,tout en vivant une grande passion amoureuse en pointillés,toute en décalages et rendez-vous manqués,avec son amie d'enfance.Mais malgré cette ossature similaire,"Benjamin Button" a sa propre originalité.A commencer par cette idée extraordinaire de la vie à l'envers,qui constitue la grande force du film mais aussi sa limite,dans la mesure où cet argument,qui relève du fantastique,empêche de s'attacher vraiment au personnage ou de croire à ses aventures,et tient le spectateur à distance.De plus,le dispositif en place crée de la confusion du fait qu'on ne sait jamais trop quel âge a réellement Benjamin,ce qui parasite l'appréhension par le public des évènements qu'il vit.Un exemple parmi d'autres:lorsque Button va au bordel se faire dépuceler,il a un physique de très vieil homme,ce qui signifie qu'il est encore bien jeune,et on peut se demander s'il n'est pas justement trop jeune pour ce genre d'activité.Mais ces quelques défauts ne pèsent guère en regard de la qualité générale d'un film traversé d'instants d'étrange poésie,de plans d'une stupéfiante beauté et de traits d'humour qui allègent opportunément une histoire dans l'ensemble bien sombre.Techniquement,c'est très réussi.La photo de Claudio Miranda est superbe et la reconstitution des différentes époques est admirablement rendue.Le travail sur les maquillages,capital dans ce contexte,est absolument bluffant et la musique d'Alexandre Desplat accompagne parfaitement les scènes sans être envahissante.D'autant que l'ambiance vintage est également soutenue par l'utilisation de tubes adéquats comme ceux des Beatles ou des Platters.C'est l'immense David Fincher qui orchestre le tout avec sa précision coutumière.Science des cadrages et de la lumière,enchaînements fluides,durée des scènes impeccablement calibrée,direction d'acteurs au cordeau,le réalisateur fait encore un sans-faute.Ajoutons qu'Eric Roth a écrit un scénario remarquable,parvenant à maintenir la narration sur les rails alors qu'avec un postulat aussi extravagant,il aurait été facile de partir dans la guignolade.Là,au contraire,le récit sait provoquer de beaux moments d'émotion,sans trop tirer sur la corde sensible.Car l'existence de Benjamin,malgré qu'il prenne les choses avec philosophie,est d'une tristesse souvent déchirante.Déjà,il est obligé de vivre en mentant pour dissimuler son âge et son état de "monstre",ce qui l'amène à ne fréquenter que des marginaux et des exclus de la société,des vieillards,des noirs,des marins alcoolos,une bourgeoise anglaise excentrique,auprès desquels il trouve d'ailleurs la chaleur que le monde "normal" lui a dès le départ refusée.Joli plaidoyer pour l'acceptation de la différence,donc.En outre,sa folle histoire d'amour est vouée à ne pas durer.Daisy vieillit pendant qu'il rajeunit et ils savent que leur période "compatible" ne sera pas longue et que Benjamin ne pourra pas élever leur enfant,cette situation entraînant des scènes d'une mélancolie terrassante.Il y a également quelques moments too much,comme la description,genre "battement d'aile du papillon",de l'enchaînement de faits ayant abouti à l'accident de Daisy.D'autant que Bigard,jadis,avait raconté tout ça dans un de ses sketches,celui où il se lamente à propos de son copain écrasé par un camion sur le mode "ah,si seulement je lui avais pas payé un dernier coup,il serait sorti du bistrot avant et n'aurait pas été écrasé!".Les acteurs font un boulot formidable.Brad Pitt incarne Benjamin avec une sobriété bienvenue et Cate Blanchett fait ressortir avec force la dignité douloureuse de Daisy.