Traiter de l’établissement de la loi dans l’Ouest nouvellement colonisé, c’est, fatalement, faire face à la possibilité d’une justice que les citoyens se feraient eux-mêmes, sans rendre possible l’avènement d’une véritable civilisation. La question du lynchage est omniprésente dans le western, chez Mann (Du sang dans le désert) comme chez Daves (La colline des potences), et lorsque Wellman l’aborde pour s’intéresser en genre, il en résulte un de ses plus beaux films.
Les débuts du récit, qu’on retrouvera presque à l’identique dans La Ville abandonnée, voient une équipée minable accoudée à un bar et s’interroger face à un tableau. L’alcool, la vanité des échanges annoncent sans le montrer un élément essentiel à venir : l’impossibilité de communiquer, de comprendre et d’accéder à l’autre.
Aucun héros ne se distingue vraiment, et c’est de manière constellée que Wellman va construire son portait de la foule : un fait divers qui se répand comme un trainée de poudre, et l’organisation galvanisée d’une traque.
De la même manière que la beuverie initiale décrédibilisait le personnage incarné par Fonda, la traque en elle-même ne contribue pas à une quelconque dramatisation : le piège se referme trop vite, et les éléments d’accusations sont trop aisés pour ne pas céder à la vindicte collective.
La micro-société qui s’improvise sur les collines à l’écart de la ville voudrait ressembler à un tribunal, mais n’en est que la parodie. Sur une nuit, qui fait forcément penser à celle qu’animera Fonda 14 ans plus tard dans Douze hommes en colère, on prétendra débattre du sort des prévenus.
C’est l’occasion pour Wellman de faire surgir des figures : outre le personnage de Fonda, le vieil homme, le révérend noir, et le jeune homme considéré comme un lâche par son père qui voyait là un parfait rite d’initiation à l’âge adulte sont autant de porte-paroles d’une minorité muette et généralement reléguée au hors-champ social.
Le moment décisif, qui voit se distinguer les sept « jurés » opposés à l’exécution, faisant face dans un travelling terrible à la masse de leurs opposants, est un tableau idéologique d’une rare intensité.
Alors que sur un pareil canevas, le spectateur attend une gradation et de grands discours, c’est l’inverse qui va s’imposer. La lettre à l’épouse d’un des condamnés aurait pu remplir cette fonction, mais elle n’atteint pas la forteresse de haine qui s’est édifiée autour de lui, et c’est un rythme atone qui succède à ce paroxysme tué dans l’œuf.
Wellman abat sa carte majeure dans ce glaçant épilogue : posé, froid, sans éructations, l’attente de l’exécution de la sentence se fait entre hommes civilisés, persuadés d’agir au nom de la civilisation. L’espérance d’une délivrance s’en trouve accrue : la tournure absurde des événements appelle évidemment une nouvelle forme de justice, qui n’adviendra pas. C’est dire si la pendaison est un choc, avant même qu’on établisse l’innocence des condamnés.
De cette nuit noire résulte une aurore plus obscure encore : un regard décapé sur ses congénères, mais dont l’indignation ne suffit pas à nous sauver : qui que l’on soit, on partage avec eux la honte d’appartenir à la race humaine.