Je ne dis jamais merci. J'ai été éduqué comme ça. C'est malpoli tout ce que tu veux mais c'est comme ça, je ne dis jamais merci. C'est pas vraiment ma faute (si y'en a qui ont faim...) et je pourrai me battre contre ça, chercher par ce mot une sociabilité certaine. Mais non. C'est mieux comme ça.
Je dis plein d'autres trucs aussi alors des fois, ça passe, on s'en rend pas compte. Alors, comme ça me pèse un peu de ne pas l'avoir dit à un type du coin*, je fais ce petit retour sur ce film.
À l'orée du vingtième siècle, bon nombre d'européens d'origine modeste quittèrent leur terre natale pour aller tenter fortune sur le Nouveau-Continent. L’Amérique, terre promise qui, déjà, exerçait une fascination sur les esprits et les cœurs en quête d'aventures. Si une grande majorité des States était déjà dotée de solides structures politiques et sociales, il restait des terres à défricher, des territoires à conquérir.
Il n'est pas étonnant qu'un des premiers films important du cinéma américain, The Great Train Robbery, réalisé en 1903 par Edwin Porter, ait été un western.
Beaucoup glorifieront la conquête de l'Ouest, n'oubliant de parler ni de ces hommes courageux, aventuriers intrépides, ni des amitiés viriles, ni du whisky, des duels ou du soleil qui brûle les paysages de rêves. D'autres s'occuperont du revers de la médaille, ce qui n'entre pas dans la légende par la grande porte mais en loucedé.
L'Étrange Incident de William A. Wellman n'est donc pas un western classique. Pas d'indiens, pas de nouba dans un saloon survolté où tu finis la tête dans le crachoir, pas de coucher de soleil sur un horizon annonciateur de lendemains meilleurs.
Ici c'est des hommes, une foule et un drame.
Un violent réquisitoire contre le lynchage, une étude de mœurs de l'être humain qui voit sa pensée disparaître au profit du groupe et ne faire qu'un pour rendre la Justice... ou l'injustice.
Une personnalité qui s'efface au profit d'une meute qui réclame le sang.
Presque en temps réel, on est pris en otages par la narration, berné, retourné. On grossit presque le torrent aveugle de la haine ordinaire, nous aussi.
Fonda rentre dans la masse alors qu'il s'élèvera, quelques années plus tard, un couteau à la main, pour être ce grain de sable dans les rouages de la machine.
Film court qui va donc à l'essentiel, porté par un scénario exemplaire de Lamar Trotti et une réalisation remarquable de Wellman.
Une œuvre courageuse qui pose un trait de lumière sur un aspect bien sombre de la nature humaine, sur une pratique honteuse aux relents de racisme, sur laquelle s'est aussi construite l'Amérique.
Un film qui m'interroge davantage que 12 Hommes en colère.
Chef d'oeuvre mon pote.
*Et puis merde. Merci à Môssieur Guyness qui un soir de l'année passée, dans un élan qui lui est coutumier, me conseilla ce film. Merci à toi, mec. (comme ça tu ne diras plus que je ne dis jamais merci. Enflure.)