L'Étrange Noël de Monsieur Jack
7.6
L'Étrange Noël de Monsieur Jack

Long-métrage d'animation de Henry Selick (1993)

Tout autant que nous sommes, nous avons tous connu des films étant enfant qui ont marqué nos esprits au fer rouge, par une sorte d'indescriptible magie.
Si si, tout le monde a connu ça.


Bien entendu, quand je dis ça, on pense à Star Wars, Jurassic Park, Retour vers le futur, Ghostbusters, Les Dents de la Mer, Indiana Jones,... Des films à la fois sérieux et pleins de légèreté, qui savaient prendre les enfants pour des adultes, et qui les ont même fait grandir, évoluer.
Niveau animation, on pensera bien sur aux Disney enchanteurs, les très touchants Pixar voire les magistraux Miyazaki pour les plus jeunes.


Et pour moi, c’était Jack.


[Si vous voulez me faire plaisir, lisez cette critique tout en vous passant ça : https://www.youtube.com/playlist?list=PLTdsVqK5MJRZnisqt1tzDMML_0T5MABei (ou alors vous voulez pas me faire plaisir, auquel cas vous aurez rien à Noël !)]


Jack (de son vrai nom L’étrange Noël de Monsieur Jack, A Nightmare before Christmas en VO) raconte, à priori, une histoire simple, celle du roi de la fête d'Halloween, Jack Skellington, qui, lassé de son éternel rôle de Prince des Ténèbres du 31 Octobre, s'exile et finit par arriver dans le monde du Père Noël, où ce dernier prépare le 25 Décembre. Émerveillé par sa découverte, Jack décide d'endosser lui-même le rôle de St Nicolas, et de fêter Noël à sa façon.
Tout cela semble être une histoire assez simple, en somme, le pitch de départ parfait pour un long-métrage d'animation Disney, voire même un Pixar. On aurait pu obtenir un sympathique petit film pour enfants.
Mais que nenni.


Ce film est réalisé par Henry Selick, réalisateur émérite qui est également le responsable de ces pépites que sont James et la pêche géante et Coraline (d'après un livre pour enfants par Neil Gaiman), et produit et scénarisé par Tim Burton, lui-même grand réalisateur.
La combinaison de ces 2 grands artistes ne peut que nous offrir un chef-d’œuvre du 7éme Art.


Rien que l'animation est une preuve de son génie. La stop-motion est sans aucun doute la forme la plus complexe de mise en scène qui existe (Aardman Animation peut en témoigner), mais son utilisation a pourtant donné naissance à de grands noms du cinéma, que ce soient le King Kong de 1933 ou bien Ray Harryhausen.
Ce film a réclamé 3 ans de travail, 1mn de scène nécessitant en moyen 1 semaine de labeur, c'est d'ailleurs le tout premier long-métrage entièrement réalisé en stop-motion ! un véritable calvaire technique, et on sent que les efforts de l’équipe technique ont payé : L’animation est fluide et parfaitement gérée, les personnages arrivent à donner l'impression d'être vivants malgré les limites de la pâte à modeler, même les personnages en arrière-plan arrivent à ne pas juste faire décor, mais à participer à l'immersion dans ce monde fantastique, le visage de Jack à lui tout seul possède une palette de 400 expressions ! C'est du boulot de dingue !
Mon seul regret, et c'est plus un caprice qu'un véritable reproche, c'est le fait que l'année de sa sortie, Jack se soit fait piquer l'Oscar des meilleurs effets visuels par Jurassic Park. Parce que, Ok, les dinosaures c'est cool, mais de la stop-motion, les gars, de la stop-motion !
Merde !


Mais bref, tant que l'on parle de monde, parlons de la direction artistique : C'est du Tim Burton à 2000%, chaque personnage transpire le Burton, que ce soit Jack, qui pète la classe avec son corps filiforme et son costard, Sally la poupée de chiffon, le maire à double face ou Oogie-Boogie le sac d'insectes, tous sentent bon le Burton.
Un style où se côtoient les monstres, les forets tortueuses, les cimetières, la mort et la mélancolie, tout en sachant y joindre la poésie macabre propre au réalisateur. S'il y a bien un domaine où le style visuel et thématique du gus s’épanouit le mieux, c'est l'animation.


Et tant que l'on parle de direction artistique, parlons de l'univers du film.
Car oui, Jack n'est pas juste un simple film d'animation, c'est un univers à lui tout seul, où les fêtes d'Halloween ou de Noël ne sont pas simplement des événements populaires, mais des univers parallèles indépendants qui garantissent par leur seule existence le bon déroulement des fêtes, et dont les habitants ne vivent que pour les célébrer, année après année, pour l’éternité. De là à y voir une métaphore de l'absurdité du monde du travail, il n'y a qu'un pas.
La décision de Burton de choisir les fêtes d'Halloween et de Noël n'est d'ailleurs pas un hasard.
Déjà parce qu'il s'agit des 2 fêtes les plus populaires du monde, mais surtout pour leur opposition évidente ; Halloween est la fête des sorcières, des loup-garous et des vampires, la nuit des monstres et de la peur, tandis que Noël est la fête de la joie et du bonheur, le moment où les familles se regroupent autour du sapin pour ouvrir les cadeaux. Le film force une confrontation entre ces 2 mondes, et au delà de ça, une confrontation entre 2 visions du monde, l'une nous dépeignant un monde de cauchemar et de monstres, mais ô combien attachant, et l'autre, un monde gentillet et mignon, à la limite du mièvre, formant une satire du manichéisme bateau que cherche souvent à nous imposer le divertissement pour enfants, voire même de notre société.
Partant d'un tel concept, Disney nous aurait offert un petit long métrage tout gentil avec d'un coté le héros gentil bloqué dans le monde des méchants et de l'autre la gentille héroïne princesse du monde des gentils, et les 2 tombent amoureux et c'est la joie.
Mais non !
Ici, on est pas chez Disney ! Et tant mieux, soit dit entre nous !


Jack Skellington est un pur héros tragique, condamné à la même besogne, cantonné pour l’éternité au rôle de Roi des Citrouilles qui lui a été imposé par le monde et la société, et qui se découvre l'envie de fêter Noël à sa sauce, apporter lui-même joie et bonheur aux enfants du monde entier. Il y mettra tout son cœur, toute sa passion et son énergie, et entraînera avec lui toute la population d'Halloween Town, allant jusqu'à se grimer en Père Noël et à kidnapper son modèle. On se dit qu'un tel dévouement va bien finir par payer.
Et bien non.
Car les cadeaux de Noël made in Halloween n'inspirent que crainte et dégoût aux enfants, eux qui voulaient des poupées et des petites voitures, ils se retrouvent avec des têtes réduites et des canards à roulette qui essayent de les croquer. La terreur envahie les foyers, Bonne nuit les petits. Le dégoût des humains est tel que ceux-ci vont jusqu'à canonner le traîneau de notre héros pour mettre fin à cette burlesque nuit de Noël.
Jack s'est frotté à la dure réalité de notre monde, où les gens n'acceptent pas ce qui ne rentre pas dans une case, ce qui n'est pas "normal". Pour les enfants, il est normal d'avoir peur à Halloween et de rire à Noël; mais trembler à Noël, alors là pas question !
Burton interroge ici le spectateur sur le concept de la normalité et de la marginalité, et au delà de ça (comme souvent chez lui), nous parle de sa propre condition d'artiste condamné à employer son art d'une manière qui ne lui plaît pas et interdit de changer sa façon de faire les choses, au risque d'attirer le rejet et le mépris. A croire que notre ami réalisateur pouvait voir dans le futur et avait anticipé les nombreuses critiques concernant sa tendance à se répéter dans son style, et même (paradoxalement) ses changements de registres tout aussi impopulaires.
Mais comme dans les films de Burton explorant ce thème, la marginalité n'est pas un mal, au contraire, Jack se montre plutôt heureux de son aventure, fier de son œuvre; la société a rejeté sa vision de Noël, de la joie et du bonheur ? Tant pis pour eux, ils sont trop étroits d'esprit, aucun d'eux ne mérite tous les efforts que Jack a fait pour eux. Retournons dans le monde des citrouilles, là-bas au moins ils savent reconnaître le génie des autres.
Preuve en est, loin de se laisser abattre, Jack libère le Père Noël, et ce dernier, plutôt que d'être rancunier, sauve la fête de Noël et fait tomber la neige sur Halloween Town pour faire la paix avec l’Épouvantail. Jack n'a peut-être pas gagné le cœur des gens, mais, métaphoriquement, il a gagné tous les honneurs dus à son art. Il rencontrera même l'amour en la personne de Sally, passant du simple Roi des Citrouilles solitaire à Prince du monde des fêtes, car l'art doit avant tout plaire à son praticien, et l'avis des gens n'est que secondaire.
On est pas dans un total happy-ending, mais on sort du film avec le sourire, certain d'avoir vu notre héros triompher malgré sa défaite évidente.


Le constat de Burton est loin d'être totalement optimiste, mais il développe un très beau message : N'ai point de honte à être différent, enorgueillit toi de ne pas être comme les autres, puise ta force dans leurs puériles moqueries et change le monde selon tes envies.
Et j'ai parfaitement su m’imprégner de ce mode de pensée, ce qui explique sans doute aussi ma solitude et mon asociabilité...


Mais Jack ne serait pas Jack sans ses musiques, avec un Danny Elfman au sommet de son art.
Il nous livre des chansons parmi les plus marquantes tout film d'animation confondu, de l'intro avec le désormais culte "Bienvenue à Halloween" (This is Halloween en VO) à la très jazzy chanson d'Oogie-Boogie, en passant par ma préférée : la Lamentation de Jack (Jack's Lament), aucune chanson ne passe inaperçue, elles sont toutes marquantes, enchanteresses, en un mot, mémorables. Un tour de force de la part du compositeur, qui lui vaudra d'ailleurs un Saturn Awards de la meilleure musique en 1994, c'est dire.
Sans rire, je vous avouerait que même les plus belles chansons Disney font pale figure à coté de celles de ce film !
Putain, les pro-Disney vont me détester...


En bref, L'étrange Noël de Mr Jack est un chef-d’œuvre, un conte horrifique bien plus intelligent -voire subversif- qu'il n'y parait, qui n'a aucun rival dans sa catégorie et qui aura été un précurseur de l'animation image par image.
Putain, si j'ai un enfant un jour, je le colle devant ce film, j'aurais réussi son éducation, moi.

Arkeniax
10

Créée

le 5 juin 2016

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Arkeniax

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