Richard Fleischer avait déjà donné le ton en 1968 avec L’Etrangleur de Boston : s’emparer d’un fait divers, et le traiter sur un mode naturaliste, sans autre ambition que de cerner le comportement d’un malade et des conséquences funestes sur son entourage. Poussivement traduit en France pour bien s’inscrire dans la continuité, 10 Rilligton Place commence là où s’achevait le précédent : on donnait la parole au tueur, pour démythifier son statut de méchant des thrillers formatés et en faire une personne humaine. Ici, point d’intrigue ou de mystère : le tueur est le personnage principal, et le spectateur sera presque son complice : reste à savoir la façon dont ses forfaits éclateront au grand jour.
Le parti pris quasi documentaire (le film, générique compris, est dénué de toute musique) suppose un talent d’écriture qui n’est pas toujours appréhendable dans ce genre de film, et qui se révèle pourtant constant ici : les comédiens sont impeccables, les dialogues au cordeau, authentiques jusque dans leurs trébuchements et répétitions, le huis clos étouffant. Car le réalisme suppose bien entendu qu’on décape le manichéisme généralement à l’œuvre dans les faits divers romancés. 10 Rilligton place sonne juste par l’exigence et l’absence de concessions sur les portraits de ses personnages. On n’en ira certes pas jusqu’à s’enticher du tueur, mais c’est surtout le couple face à lui qui fait mouche, parce qu’ils ne bénéficieront jamais de l’angélisme qu’on octroie généralement à rebours aux victimes. Buveurs, immatures, tapageurs dans des disputes incessantes, l’un analphabète, l’autre excessivement naïve et fielleuse, rien ne permet l’empathie. Fleischer peint avec un talent rare et âpre un milieu sordide en tous points, et explique, d’une certaine façon, comme celui-ci peut facilement devenir le terreau du pire.
Sur le terrain des actes, c’est donc le temps réel qui va primer : Alors que L’Etrangleur de Boston favorisait des recherches plastiques innovantes comme les split-screen pour montrer la terreur d’une ville entière, cet opus est celui de l’intime : c’est la complicité entre un propriétaire et ses locataires au comportement infantile, et la naissance d’une emprise qui va le mettre en posture de père, puis de médecin. La radicalité du meurtre, sa durée et la difficulté avec laquelle on cache le corps rendent palpables l’effroi et l’horreur. On pense à cette autre approche naturaliste et éprouvante que sera le très radical Schizophrenia de Gerald Kargl : pas d’ellipse, mais la pénibilité, le poids et la fatigue devant le poids mort d’un cadavre.
La seconde partie, dédiée au procès, procède de la même approche : c’est la mise au jour d’une supercherie et la lente dérive vers la vérité, sans grand coup d’éclat, parce que la simplicité du présumé coupable jouera en sa défaveur. On ne peut ainsi pas véritablement parler d’un dénouement traditionnel, mais d’un simple aboutissement, dans un récit qui aura toujours privilégié le vrai sur le divertissant. Ou quand la fiction permet d’éclairer le réel de son obscure clarté.
(7.5/10)