Pas grand-chose d'autre à ajouter sur ce chef-d'oeuvre que ce que Pasolini en a dit lui-même avec beaucoup de lucidité dans cette interview datée de 1965:
https://www.erudit.org/fr/revues/sequences/1965-n40-sequences1156300/51821ac.pdf
Une adaptation littérale de l'évangile: un projet qui peut paraître casse-gueule quand on connait ce texte qui tranche un peu avec les codes actuels en termes d'art narratif. Mais paradoxalement c'est les contraintes de l'exercice qui semblent offrir à Pasolini les moyens d'y mettre le plus de lui-même.
La puissance de la parole de Jésus est la vedette du film, par contraste avec le quasi-mutisme de ses apôtres dont toute l'expression semble concentrée dans le regard rempli de fascination pour ce maître à côté duquel ils semblent bien gauches et prosaïques. L'histoire de ces foules anonymes qui entourent Jésus, pour l'adorer ou le lyncher, est rendue vivante par ces gros plans sur les trognes rustiques et béates qui rappellent les fresques du Quattrocento.
Le film rend fidèlement hommage au merveilleux naïf de l'évangile sans chercher à l'escamoter ni à le dramatiser. L'apparition de l'archange Gabriel semble aller de soi dans cet univers, tout comme les miracles qui sont toujours suggérés sans rien de spectaculaire, et c'est tout juste si l'athée endurci que je suis n'a pas failli chialer pendant la scène de la nativité, avec cette merveilleuse Marie, baignée dans son amour maternel comme dans un narcotique à travers lequel perceraient quelques rayons de lumière venus du ciel.
L'épisode de la Passion est presque scandaleuse de sobriété pour un œil élevé dans le gore Melgibsonien puisque le plus grand drame se joue dans l'âme de Judas, dont la trahison folle se solde par un repentir impossible, mais surtout dans celle de Pierre, l'expression la plus sincère de la lâcheté de tous les hommes, dont les larmes versées à la fois sur ce maître qu'il aimait et sur sa propre faiblesse sont déchirantes de détresse.