Du nerf mais pas de cœur. Je suis ressorti de la séance pas tant éreinté (comme les échos de ce film me le laissaient prévoir) que soulagé, un rictus amusé au visage.
D'une part, ce film, une fois dépouillé de son arsenal de scènes choc et réduit à son noyau narratif, se révèle pour ce qu'il est: un conte macabre de facture classique, qui a réveillé avec délice les réminiscences de certaines nouvelles de Poe. Pour résumer: une créature mi-homme mi-machine traîne sa soif de destruction dans les noirceurs d'une société humaine corrompue jusqu'à trouver son sauveur qui, dans son amour aveugle, lui apprendra à s'accepter elle-même. Ça vous rappelle quelque chose ?
Et c'est à la fois la force et la faiblesse de ce film - ce syncrétisme symbolico-religieux - qui lui permet d'insuffler une plus grande profondeur à son histoire tout en la condamnant à rester au niveau de la démonstration. C'est si vrai que le goût pour la symétrie de la réalisatrice se reflète tel quel dans le déroulement de l'histoire, délibérément formée de deux volets bien distincts - tant dans le style que dans le fond - et se répondant: le gore, le métal, la froideur et la pulsion de mort dans le premier, la famille, la chaleur, le chagrin et le désir d'aimer dans le second. Le motif du feu est un fil rouge du film (rappelons que le titane est un métal qui se caractérise par sa grande capacité de résistance au feu) et ce n'est pas un hasard si l'héroïne, fascinée par ces flammes qui n'en finissent pas de la consumer, finit par trouver refuge dans les bras d'un pompier, seul capable de les neutraliser.
On sent bien (et la réalisatrice l'admet elle-même quand elle dit que son film est né d'images et de rêves) que l'histoire est au service d'une idée et non pas l'inverse: mais cette espèce de scène de nativité (cf. le personnage de Lindon qui, pince-sans-rire, se compare à Dieu et son fils adopté à Jésus) finale où les genres (homme ou femme ? Garçon ou fille ?) et les désirs (amour paternel ou inceste ?) sont confondus pour présider à l'avènement du premier rejeton d'une nouvelle espèce de cyborg transhumain ne convainc pas, et c'est par respect que j'ai réprimé un pouffement.
On peut donc plaquer toutes les interprétations qu'on voudra sur ce film: allégorie de la puberté, métaphore du changement de sexe, etc... et ce sera de bonne guerre puisque la matière fluide et ambigüe du film s'y prête dans son principe. Mais ces débats n'ont rien de contemporain puisqu'ils relèvent du mythe et que le mythe est par définition de tout temps. Les Grecs ne nous ont pas attendu pour peupler leurs rêves d'androgynes et d'hermaphrodites.
N'en reste pas moins une réalisation extrêmement léchée, une photo clean au possible, un travail sur le son fouillé jusqu'au délire, des citations cronenbergiennes qui ne sont jamais pour déplaire, des scènes de danse toujours intégrées avec justesse pour transcender le quasi-mutisme des personnages, une sublimation quasi doloriste des corps mutilés qui n'est jamais vulgaire, et évidemment de très bons acteurs. Aussi de bonnes trouvailles psychologiques qui assouplissent le monolithisme archétypal des personnages, en particulier dans leurs interactions avec ce petit malin de Rayane.
Inutile de préciser que ce n'est pas un film tout public et que vous engagez votre responsabilité sur les séquelles morales infligées aux proches à qui vous le conseilleriez.