Une femme sous échéance
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le 6 déc. 2021
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On me pose parfois une question à laquelle il n'est pas toujours aisé de répondre : « Qu'est-ce qu'un film d'auteur ? »
Plutôt que de partir dans des explications théoriques sur ce concept plus que vague autant se reposer sur des exemples. Et en voici un parfait avec cet "Évènement" depuis mercredi sur les écrans et récemment auréolé d'un Lion d'Or.
On pourrait tout à fait imaginer un tel sujet traité dans un téléfilm commandé par France 3 pour une diffusion en prime time. Les scénaristes et réalisateurs contactés seraient alors chargés d'adapter et de mettre en images le roman d'Annie Ernaux en respectant un cahier des charges strict. Le résultat se devra d'être consensuel, que ce soit dans le fond ou dans la forme afin de rassembler le public le plus large possible à une heure de grande écoute. Le mot d'ordre sera le suivant : parler d'un sujet grave que se doit d'aborder le service public mais sans trop choquer ni même bousculer. Pas d'autre choix donc que de "falsifier" l'horrible réalité puisque l'inconfort du (télé)spectateur est l'ennemi de l'audimat / box-office. Quand je dis "falsifier" j'entends ne pas montrer frontalement ni faire entendre ce qui constitue pourtant cet évènement : la nudité d'un corps en mutation et encore plus la violence, celle d'une aiguille s'enfonçant dans des entrailles ou d'un fœtus tombant dans des toilettes. L'avortement clandestin c'était la boucherie mais si on pouvait éviter de montrer les abats pour ne pas choquer le temps de cerveau disponible... Alors on habillerait ça de psychologie à deux euros pour éviter de montrer les actes, d'une reconstitution de l'époque bien soignée et proprette pour caresser l’œil dans le sens du cil.
Audrey Diwan fait du cinéma, elle l'avait déjà montré avec le surprenant "Mais vous êtes fous", alors elle en utilise les armes. Elle bouscule, montre, dit ce qu'était un avortement clandestin et non ce qu'on préférerait qu'il fût, et pour ça quel meilleur instrument que sa caméra. Celle-ci va accompagner Anne et son martyr de la première à la dernière seconde, jamais elle ne quittera l'image. L'image et donc le cadre... Rarement un mot mot n'aura eu, de manière si éloquente, un double sens : la femme devait rester à sa place, dans un cadre que la société avait prévu pour elle, alors Diwan l'enferme dans un format carré par définition étouffant sur un écran qui glorifie le cinémascope, mais elle va justement se servir de ce cadre pour lui redonner la place qu'elle mérite et mettre les autres personnages, forcément secondaires, à la leur. Elle sera au premier plan, de dos ou de face, ses interlocuteurs bien souvent floutés ou même hors champ - seules les quelques mains tendues mériteront la bienveillance égalitaire d'une focale - et quand elle se retrouvera au premier plan le floutage se trouvera inversé pour que son héroïne soit en pleine lumière. Façon de parler car de vraie lumière il n'y aura que lors de l'ultime scène. Autre procédé du langage cinématographique, au même titre que le son qui peut parfois bien plus traumatiser que l'image.
Bien entendu ce film n'est en rien une révolution, même si autant respecter un (grand) roman tout en en faisant une œuvre personnelle est loin d'être fréquent, tout ce que je viens d'énumérer rappelle forcément des procédés utilisés par exemple par des frangins belges à une époque où ils avaient encore des choses à apporter au septième art, et comment ne pas penser à la performance d'Émilie Dequenne quand on découvre celle, tout aussi bluffante, d'Anamaria Vartolomei.
Enfin bref qu'on aime ou pas le film il s'agit bien de cinéma, au sens artistique du terme et non industriel. Et si j'en crois la posture d'un spectateur parti après à peine 30 minutes le geste cinématographique n'est pas neutre et pourra, gloire à lui, désarçonner. A moins que cette personne n'ait reconnu ici un tract des ligues anti-avortement, Audrey Diwan étant comme chacun sait depuis "BAC Nord" la porte-parole de la droite conservatrice/extrême/fasciste. (Je force volontairement le trait mais oui oui j'ai entendu que ce film était de droite et qu'il dénonçait l'avortement. Comme quoi on fait vraiment dire à l'art ce qu'on a envie d'y voir... Ou quand l'idéologie remplace le regard...)
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Créée
le 26 nov. 2021
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