Le style visuel d'un film d'animation, en plus de devoir être agréable et lisible pour le spectateur, contribue à l'identité d'un film. Qu'il s'agisse de "marques de fabrique", comme les figures de pâte à modeler difformes gris et ocres d'Adam Elliott (Mary and Max) ou bien de styles visuels novateurs, comme la prouesse technique qu'est Passion Van Gogh, réalisé par Dorota Kobiela et Hugh Welchman, cet élément est véritablement important dans l'industrie du cinéma d'animation. Dans un style plus expérimental, on trouve les oeuvres de Don Hertzfeldt (World of Tomorrow, It's such a Beautiful Day) et celles de la réalisatrice Anca Damian. D'abord créatrice de longs-métrages d'animation indiqués pour un public adulte, notamment Crulic et La Montagne magique, elle a donc décidé pour son dernier film de s'ouvrir au jeune public, et ce résultat donne L'Extraordinaire voyage de Marona.
L'Extraordinaire voyage de Marona est donc un long-métrage d'animation réalisé par Anca Damian, sorti le 8 janvier 2020 dans les salles françaises. Majoritairement produit en France, bien que la créatrice soit roumaine, le film raconte l'histoire d'une chienne aux portes de la mort qui décide de résumer ses différentes expériences vécues avec ses propriétaires.
Tout d'abord, je recommanderai à ceux que le film intéresse d'aller le voir au cinéma, tant l'expérience visuelle est unique et superbe sur grand écran.
Je trouve le film somptueux, et il s'agit probablement d'un des films d'animation les plus intéressants que je connaisse sur le plan visuel. Souvent psychédéliques, parfois plus classiques, mais toujours inventives, les images fournies par le film marquent par leur singularité, et le mélange perpétuel des styles graphiques crée une richesse absolument phénoménale au sein du long-métrage. Que ce soit grâce au design des personnages (opéré par Brecht Evans, auteur réputé de bandes dessinées) aux décors, à la mise en scène... je ne saurais pas trouver un seul moment du film où je n'ai pas été ébahi par ce que j'ai vu. Chaque scène possède un niveau de détails assez incroyable, et tout dans le film respire la passion pour le médium qu'il exploite, en particulier les dizaines de personnages d'arrière-plan aux styles tous différents, qui témoignent d'une envie de créer un univers totalement original, à la fois onirique et ancré dans notre réalité. La palette de couleurs utilisée est extrêmement variée, et celle-ci dépend du propriétaire avec lequel l'héroïne se trouve, tournant par exemple vers le vert et le jaune vers la fin du film. L'animation est du même niveau, extrêmement fluide, même si les protagonistes bénéficient évidemment d'un soin particulier par rapport aux personnages d'arrière-plan. Cela mis à part, le style paraîtra probablement un peu trop expérimental pour un public trop jeune (6-7 ans), au même titre qu'un film comme Le Garçon et le Monde, et je recommanderais donc de le voir avec un enfant un peu plus âgé, afin que ce soit plus compréhensible.
Si cette richesse se fait parfois au détriment de la lisibilité, le film reste appréhendable grâce à une narration plus classique, puisqu'on y suit essentiellement le périple de la chienne, de sa naissance jusqu'à sa disparition. Ce parcours permet d'aborder une quantité de thèmes assez importantes, de l'abandon aux rêves déchus, en passant même par la maladie mentale, et tous sont traités avec justesse, parfois sans une grande profondeur puisque certains thèmes n'apparaissent que peu de temps, mais jamais de façon fausse. Il y a aussi une grande symbolique qui passe à travers certaines animations, qui permet différents niveaux de lecture, et donc un intérêt tout aussi grand pour un public adulte. Je me suis pris d'affection pour l'héroïne et pour tous ses propriétaires, tous bienveillants et aux sentiments divers et variés. Cet attachement m'a permis de ressentir énormément d'émotions : de la joie en voyant la dévotion et le soutien que le petit animal procure à ses maîtres, de la tristesse en la voyant abandonnée à plusieurs reprises, de la colère, voire de la peur dans certaines situations. Ce film est émouvant à tous les instants, sans jamais entrer dans la surabondance, porté par la bande-son de Pablo Pico, un compositeur français. Cette dernière, utilisant toutes sortes d'instruments (majoritairement de la guitare et des violons) ainsi que des cœurs, participe aussi à l'ambiance singulière introduite par les dessins et l'animation, et donne un ton très optimiste à l'ensemble. Par ailleurs, la chanson du générique, à savoir Happiness is a small thing, créée pour le film, me fait un peu penser à Little Person, que l'on peut retrouver dans le générique de Synecdoche, New York (j'avoue, j'ai essentiellement écrit ça pour pouvoir mentionner ce fabuleux film de Charlie Kaufman). Mon principal reproche viserait certains dialogues qui paraissent un peu faux au niveau de leur écriture, selon moi, mais rien de vraiment dérangeant.
En conclusion, L'Extraordinaire voyage de Marona est une odyssée visuelle profondément touchante de la première à la dernière seconde. Avec son univers onirique, sa narration progressive et ses différents niveaux de lecture, il permet à tout le monde (même si je ne le conseillerai pas aux enfants les plus jeunes) d'y trouver son compte. Pour terminer, je vous recommanderai de vous intéresser aux travaux de Don Hertzfeldt (et évidemment, ceux d'Anca Damian), qui sont les seuls films qui me paraissent similaires à cette expérience.